PERMACULTURE SUITE 2 JEROME LIBERCIER 2023 16 10 OCTOBRE
PERMACULTURE Suite 2 Jérôme LIBERCIER Octobre 2023
Jerome LIBERCIER
Introduction
Nous l'avons vu dans l'article "Une approche de la permaculture Jerome LIBERCIER 2023 note BRAN du 22 01 janvier", Bill Mollison n'a pas souhaité définir la permaculture, elle ne saurait l'être car elle est basée sur les principes du vivant et par Essence en évolution permanente.
Bill Mollison avec l'aide de son élève David Holmgren en a cependant dessiner ses contours en formalisant l'Ethique (article "De la permaculture suite 1 Jerome LIBERCIER 2023 11 05 mai"), une méthode de conception et des Principes d'action.
Intéressons nous aujourd'hui à la méthode de conception, méthode OBREDIM (acronyme pour
Observation, Bordures, Ressources, Évaluation, Design, Implantation et Maintenance), aussi appelée Design.
(la traduction du mot Design est peu claire en français, elle peut porter à confusion d'autant qu'une étape de la méthode s’appelle aussi Design).
Tout comme pour la définition de la permaculture, de nombreuses versions et interprétations de la méthode sont apparues au fil du temps.
J'en citerais trois :
• Méthode OACMM de Graham Burnett (Observation, Analyse, Conception, Mise en place, Maintenance)
• Méthode VOBREDIMORC de Franck Nathié de l'association La forêt nourricière (Vision,
Observation, Bordures, Ressources, Evaluation, Design, Implantation et Maintenance, Observation, Ré évaluation, Célébration)
• Méthode OARA de Jérôme Libercier (Observation, Analyse, Réflexion, Action)
Chaque variante apporte une compréhension différente de la méthode initiale en la précisant ou la simplifiant.
Avec sa Méthode VOBREDIMORC, Franck Nathié tente de mettre en évidence la complexité de la méthode, son aspect cyclique et itératif (qui se répète).
Avec la Méthode OARA, je simplifie la méthode de Bill Mollison afin de l'utiliser au quotidien, dans tous les domaines de ma vie, pour aligner mes choix sur son Design de vie. (Nous l'aborderons dans un prochain article).
La multitude d’interprétations qui partagent une même ligne directrice mais qui empruntent des chemins différents m'a fait m'interroger sur la pertinence du mot "méthode", le mot "processus" me semblant plus approprié.
L'étymologie et les définitions du "Dictionnaire Littré" et du "Dictionnaire de l'académie française" font effectivement apparaître une nuance.
Pour caricaturer je rapprocherai le mot "méthode" à une vision linéaire et le mot "processus" à une vision cyclique, itérative et évolutive.
En effet la méthode OBREDIM n'est pas une liste de cases à cocher les unes après les autres de la lettre O à la lettre M.
Tout comme l'étique, elle donne un cadre pour l'expression du processus du vivant en évolution
permanente et nous invite à nous adapter, à co-évoluer avec ce qui est vivant dans l'instant présent.
Le biomimétisme et l’écomimétisme peuvent nous aider à nous familiariser avec cet approche.
Pour faire le parallèle avec la tradition, nous avons vu que l'éthique de la permaculture pourrait être
associée à l'Essence, selon moi le processus de conception pourrait être associé au Principe, le
chemin qu'emprunte l'Essence pour se manifester dans la matière.
Voyons maintenant un aperçu des étapes du processus de conception :
La méthode OBREDIM
Vision
Cette étape n'est pas mentionnée par Bill Mollison mais elle apparaît dans de nombreuses variantes.
J'ai pu observer de nombreux projets personnels ou collectifs qui, après la phase enthousiaste du
démarrage, peinent à avancer, à garder de la cohésion ou de la cohérence.
Il me parait important de prendre le temps dessiner les contours de son projet avant de se lancer.
Notamment :
• Le cadre humain (définir l’équipe, la raison d’être du projet ...),
• Le cadre relationnel (comment prendre t'on les décisions ? le cadre de sécurité...)
• Le cadre opérationnel (cadre juridique, budget, communication).
De nombreuses méthodologies de projet existent pour nous aider à poser les bases de notre projet
(SMART, QQOQCCP, rêve du dragon ...).
Observation
Il est recommander que cette phase dure au moins un an avant d'aller plus loin, pour le moins il est conseillé de résister à la tentation de commencer la phase Design au risque de passer à coté de la magie du processus.
Selon moi, l'Observation est plus qu'une phase dans le processus, elle est la note de fond de toute la partition que nous allons jouer, elle va en révéler les harmoniques.
Elle est centrale, omniprésente, transversale. Pour un lieu physique, l'éventail des observations peut être très large, voici quelques exemples :
• Le contexte de la commune (administratif, géographique, historique, politique, ambiance
dans le village, les services et commerces disponibles...)
• Le contexte de la parcelle (Urbanisme, les voisins, les activités passées et présentes)
• Les secteurs (Climat et micro climat, topographie, hydrologie, risques naturels et technologiques...)
• Les flux et circulations (sur la parcelle et pour y accéder...)
• Le terrain (Le sol, la végétation, la faune, les particularité spatiales et sensorielles...)
Plus notre observation sera large et précise; plus nous aurons une connaissance fine du territoire, de la commune, de notre terrain, plus nous nous pourront nous positionner au plus juste dans le vivant, interagir et co-évoluer.
Bordures
Je vous invite à visualiser la limite entre une forêt et une prairie, la lisière. Imaginez maintenant que votre projet, votre terrain ce situe à cet endroit.
Depuis cet endroit observez toutes les interactions avec ce qui vous entourent.
La lisère est un endroit riche en biodiversité car elle rassemble la faune et la flore de la prairie et celles de la forêt mais aussi souvent une faune et une flore spécifique.
Il en est de même pour votre votre projet, votre terrain, identifier les bordures permet de visualiser les interactions, contraintes (administratives, topographique, climat...) et de révéler des ressources.
Il se peut que la lisère soit à la rencontre de plusieurs écosystèmes, c'est le cas du projet de jardin partagé que je conçois pour Tera dans le Lot et Garonne, voici le premier jet des bordures que j'ai identifié :
Ressources
Les ressources peuvent être humaines, matérielles, financières ou intellectuelles.
Nous sommes invités à les identifier et à les recenser, elles nous seront utiles pour réaliser notre projet (plantes, matériaux, partenariats, sources de financements ...)
Le temps disponible à consacrer à notre projet est une ressource importante, il nous permettra de le
dimensionner ou de l'étaler dans le temps en le découpant en plusieurs étapes.
Selon moi, les Ressources comme les Bordures sont intimement liées à l'Observation, elles sont les
harmoniques de la note de fond.
Il est précieux d’entraîner son oreille pour les identifier, les noter et les actualiser au fur et à mesure.
Évaluation
A cette étape nous faisons la synthèse des informations recueillies aux étapes précédentes, notamment pour identifier les facteurs limitants, les ressources à valoriser et celles qui nous manquent...
C'est le moment aussi de lister de tous les organes (éléments en langage permaculturel) nécessaires
au bon fonctionnement de notre projet (système) et de les classer selon trois critères : vitaux, importants, bonus.
Cette étape nous permet de faire un point sur notre projet, notamment de vérifier la cohérence entre notre vision et le réel.
Nous pourrons au besoin redimensionner, réorienter ou découper en plusieurs phases notre projet.
Design
Après avoir sélectionner les organes (éléments) de notre projet nous allons aller explorer chacun de manière plus fine.
Selon la taille du projet, cet exercice peut demander beaucoup de travail et amener à l'éparpillement.
il est conseillé de se concentrer dans un premier temps sur les éléments vitaux, dans un second temps sur les éléments importants et enfin les élément bonus.
Analyse fonctionnelle
Il s'agit d'identifier les besoins et produits de chaque organe, prenons un exemple non exhaustif du potager, du verger et des poules :
• La poule produit des oeufs, de la chaleur et se nourrit d'insectes en fouissant le sol et de déchets organiques. Elle à besoin d'eau et d'un poulailler, elle produit du bruit et des odeurs.
• Le potager et le verger produisent des fruits et des légumes dont une partie reste au sol.
• Le potager à besoin d'arrosage, d'attention et de soins réguliers.
• Le verger à besoin de moins d'attention, il n'a pas besoin d'arrosage. Certains parasites passent l'hiver dans le sol.
• Nous consommons des fruits, des légumes, des oeufs. Nous produisons des épluchures et des bio déchets. Nous rendons visite régulièrement au potager, un peu moins au verger.
Pour vous aider je vous propose de faire une fiche par élément en utilisant l'outil AFOM (Atouts, Faiblesses, Opportunités, Menaces, externalités positives et négatives) que j'ai adapté à cet exercice.
Prenons l'exemple de la poule (non exhaustif):
Atouts :
• Production d’oeufs
• Désherbage
• Fumier
Faiblesses :
• Protection contre les prédateurs
• Maladies et parasites
Opportunités :
• Réduction des bio déchets
• Production de viande
• Animal de compagnie
Vigilances :
• Gestion des parasites
• Coût de l'alimentation
Externalités positives :
• Production de chaleur
• Gestion des ravageurs
Externalités négatives :
• Bruit
• Odeurs
Besoins :
• Poulailler
• Point d'eau
• Nourriture
Design spatial
Le zonage
Pour nous aider à positionner nos éléments dans l'espace nous pouvons nous référer à l’outil de
zonage proposer par la permaculture.Les zones sont définies à la fois selon la distance de notre habitat et le besoin d'attention et de soins des éléments. Au fur et a mesure que le chiffre augmente nous intervenons de moins en moins :
Zone 0 : habitation
Zone 1 : Visites quotidiennes
Zone 2 : Visites fréquentes
Zone 3 : Visites occasionnelles
Zone 4 : Visites peu fréquentes
Zone 5 : Zone sauvages
Il est très rare que les zones soient concentriques, l'important est d’identifier les espaces sur son
terrain (ou projet) et la fréquence de visite.
Pour reprendre notre exemple :
• Le potager est visité très fréquemment, nous le positionnerons assez proche de la maison, près d'un point d'eau.
• Le poulailler nécessite des visites quotidiennes et de l'eau, nous le positionnerons également assez proche de la maison mais pas trop à cause du bruit et des odeurs (externalités négatives).
• Le verger peut être positionné un peu plus loin car il nécessite moins d'attention et pas d'arrosage après la première année.
A ce stade Il apparaît pertinent de placer potager proche de la maison en zone 1 (les plantes
aromatiques et à tisanes seraient en zone 0), le poulailler en zone 1 ou 2 et le verger en zone 2 ou 3.
Positionnement relatif
En nous appuyant sur l’analyse fonctionnelle et le zonage, nous allons chercher à maximiser les
interactions entre chaque élément (utiliser les produits des uns pour répondre aux besoins des autres) et les positionner dans les zones adéquates.
Entrons dans le détail et intéressons nous particulièrement au poulailler.
Nous avons pris en compte la production d’oeufs, le besoin en eau et la production du bruit et des
odeurs.
Intéressons nous maintenant au fait que la poule se nourrisse d'insectes en fouissant le sol et de
déchets organiques :
• Nos épluchures et bio déchets peuvent nourrir la poule.
• Introduire la poule dans le potager après la saison de culture lui permettra de se nourrir des restes de légumes (économie sur l’achat de nourriture) et des parasites tout en ameublissant la surface du sol et l'enrichissant de ses fientes (externalité positive).
• Au verger de nombreux fruits restent au sol à l'automne, il n'est pas rare de trouver des parasites comme le carpocapse.
Cet insecte pond dans la pomme, sa larve passe l'hiver dans le sol après la chute du fruit, au printemps elle se transforme en papillon qui va pondre dans les pommes.
La poule est un allier précieux pour entretenir le verger, freiner le cycle de reproduction du carpocapse et transformer un ravageur en oeufs pour nos omelettes, crêpes ou gâteau.
Il apparaît judicieux de positionner le poulailler assez proche du potager et du verger ou du moins
prévoir un parcours pour les relier.
Allons encore un peu plus loin dans l'analyse et regardons l'aspect production de chaleur de notre
poule :
• Les poules ont une température corporelle d'environ 41,5°C, nous pouvons utiliser se dégagement de chaleur pour créer un micro climat dans un espace très localisé.
• La serre du potager crée déjà un micro climat, en positionnant le poulailler dans la serre (clôturé bien sûr) nous accentuons ce micro climat et nous allongeons la saison de culture.
• Nous pouvons ainsi faire des semis et cultures précoces et prolonger les cultures tardives.
La serre à besoin de visites quotidiennes (ouverture et fermeture des portes, arrosage), nous la positionnerons en zone 1.
Pour récapituler :
En zone 0 nous avons les aromatiques et les plantes à tisane tout proche de la maison.
En zone 1 nous avons le potager, la serre et le poulailler dans la serre.
En zone 2 nous avons le verger.
Cet exercice nous donne un schéma des inter relations entre les éléments de notre système.
L'étape suivante consiste à passer de ce positionnement théorique à la pratique, à l'adapter au réel de notre terrain.
C'est le moment de réaliser un plan guide, nous allons positionner les éléments "colonne vertébrale"
du projet (Les bâtiments, les circulations et flux essentiels et identifier les différents espaces).
Pour identifier ces éléments "colonne vertébrale" vous pouvez vous inspirer de l’Échelle de permanence de Yéomans.
Je vous conseille de partir du cadastre et d'utiliser des calques pour plus de lisibilité, nous pourrons
ainsi choisir les informations à afficher (exemple : les zones, les bâtiments, les circulations, les éléments, les plantations...).
Une fois le Design spatial terminé nous pouvons passer au Design temporel
Design temporel
Cette étape nous invite à revisiter nos priorités, à planifier et définir les phases de notre projet, elle
suit la logique de l’Échelle de permanence de Yéomans, nous commençons par les gros travaux (terrassements, réseaux), les circulations principales, les constructions en dur, le mobilier fixe et clôtures puis les plantations.
Nous réaliserons aussi les documents techniques (plan détaillé, phasage dans le temps et l'espace, planning, Plan de plantation, Calendrier de gestion...)
Implantation
C'est seulement à cette étape que nous allons mettre en oeuvre dans la matière le fruit de notre
réflexion, notre Design.
Maintenance
Un design parfait n'existe pas, il n'est humainement pas possible de réaliser une observation exhaustive et holistique (notre projet dans le tout dans lequel il s'inscrit), il est également difficile de prévoir les évolutions du monde qui nous entour.
Cependant le Design est un processus qui nous invite à observer et interagir en permanence avec le vivant et à adopter une approche systémique :
• Identifier nos besoins, la « finalité » de notre (éco)système (Vision)
• Identifier les inter relations, les flux avec l'extérieur (Bordures)
• Identifier nos ressources (Ressources)
• Identifier les inter relations, les flux à l'intérieur de notre système (Évaluation)
• Rechercher les éléments de stabilité (Évaluation)
• Rechercher les facteurs d'équilibre et d'harmonie (Design)
Plus nous serons au clair sur nos besoins, ce qui est vivant en nous et la finalité de notre projet; plus les bordures, ce qui est vivant autour de nous et les ressources seront clairement identifiées; plus nous seront proche du point d'équilibre et d'harmonie et plus le besoin d'apporter des corrections sera minime.
Cette approche, cette posture d'appréhender le monde ne s'acquière pas au premier parcours du processus de conception, il me semble important de le garder en tête et de rester humble, même après des années de pratique.
Il important aussi de ce souvenir que le processus de conception n'est pas linéaire mais cyclique et itératif, je vous propose deux illustrations :
Voici les grandes lignes du processus de conception dans le temps :
Et une approche pour illustrer le côté non linéaire, cyclique et itératif.
Cette réflexion est née d'une phrase reçu il y à quelques années : "Ici nous faisons toujours un peu plus de la même chose".
A l'époque je l'ai comprise comme tourner en rond, aujourd'hui en intégrant la dimension verticale, je la comprend différemment.
Si à chaque tour de roue nous prenons soin d'« infugrer» (contraction de laisser infuser et intégrer)
les observations, les expériences, les connaissances... nous revisitons les mêmes aspects du cercle, de notre projet, de notre vie avec un niveau d'entendement différent.
Nous faisons alors un peu plus de la même chose dans une dynamique d'évolution, comme une spirale qui nourrit le centre du cercle et gagne en verticalité à chaque tour.
Processus et Design de vie
Dans le prochain article je vous proposerai de faire un premier pas vers le Design de vie en traduisant ces informations théoriques en partant d'une situation concrète de la vie de tous les jours (préparation d'un repas pour une soirée auberge espagnole).
En attendant je vous partage cette illustration du processus appliqué à la conception d'un jardin forêt
d'Antoine Tallin, co-fondateur de l' Université des
Alvéoles,
et je vous invite à choisir un exemple de votre vie quotidienne qui ne concerne pas le jardinage
(aménager une chambre, choisir une voiture, choisir des logiciels ou applications pour s'organiser ...)
Prenez un exemple très simple pour commencer pour limiter le nombres de paramètres à prendre en
compte.
L'objectif est de commencer à saisir le processus sans se trouver submergé par le nombre d’interactions et la complexité du "système" que vous allez mettre en place. (Principe de permaculture : Utiliser des solutions à petite échelle et avec patience)
A la lumière du schéma et de cet article, vous pouvez commencer à appliquer le processus de conception.