Les dits du corbeau noir

AUTRE TRADITION LES KOGIS PAR ERIC JULIEN 2019 LECTURE BRAN DU 06 02 2019

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CE PREMIER ARTICLE SERA SUIVI D'UN AUTRE A VENIR (Essai comparatif avec la Tradition Celto-druidique)

 

 

Un p'tit coin de paradis

 

 

 

 

Le chemin des neuf mondes Eric Julien

 

Les indiens Kogis de Colombie peuvent nous enseigner les mystères de la vie

 

 

 

En 1985, un jeune coopérant, Eric Julien est envoyé par le gouvernement français en Colombie pour travailler auprès de l'ambassade de France et de la télévision colombienne.

Il ignore tout de ce pays et cependant, le fil de la vie va lui faire rencontrer les indiens qui sont acculés à s'établir toujours plus loin dans des terres inaccessibles de la Sierra pour fuir les paysans et les guérilleros.

 

Eric Julien va découvrir ces gardiens de leur Tradition et nous mettre à leur écoute. Voici quelques extraits de ce livre pour nous ouvrir sur leur monde.

 

Pour ces indiens, la science religieuse et la réputation des Mamus ou prêtres de leur religion priment tout.

Tous reconnaissent cette science comme étant la plus élevée et la plus développée.

 

Les Kogis croient au pouvoir spirituel, à l'intelligence de l'esprit comme moyen d'être" en accord avec le monde et de le "penser" correctement. Faire une prière, un rituel, c'est se mettre en harmonie, c'est travailler à l'équilibre du monde.

"Nous devons préserver la Sierra, le cœur de l'univers.

Si le cœur s'arrête de battre, la terre cessera de vivre...".

 

Un Mamu, un prêtre, un "éclairé", est un de ces hommes dont la finalité transcendantale doit le mener à un état où les questions du bien et du mal n'ont plus cours, "où le corps doit être devenu pure pensée". Un état qui ne peut être atteint sans une pureté spirituelle qui n'est pas sans rappeler celle de l'innocence enfantine. Pour progresser vers cet état, il faut tout oublier, être pur et serein. Aujourd'hui, c'est à lui qu'est revenue la charge de faire vivre et de transmettre le savoir et la mémoire collective de la communauté.

 

Les Kogis sont d'excellents "astronomes", leurs Mamus ont une grande connaissance des étoiles et de leurs déplacements. Leur calendrier, divisé en 18 mois de 20 jours, se base essentiellement sur l'observation des solstices et des équinoxes. Les Kogis disent :

 

"le soleil est dans sa maison, plus tard, il sort par une porte, et traverse le ciel jusqu'au solstice, là, il fait demi-tour et revient dans sa maison"

 

Ce calendrier, entretenu depuis des centaines d'années par la mémoire collective des Kogis responsables du lieu, leur permet de suivre les déplacements du soleil, d'identifier, voire d'anticiper les anomalies telles qu'une éclipse, une époque de sécheresse ou la saison des pluies qui n'arrive pas.

Toutes les informations relatives aux observations astronomiques et aux lieux où elles se pratiquent sont tenues particulièrement secrètes.

 

"Les étoiles nous servent pour orienter la vie, les activités agricoles, la santé. » Si on regarde les étoiles, on peut apprendre le futur. Une étoile qui clignote nous annonce la pluie, une étoile filante qui descend annonce l'arrivée de l'été ou une période de sécheresse. Toute l'année, ce ne sont pas les mêmes étoiles. Certaines annoncent l'époque des semences, d'autres annoncent un travail ou une cérémonie particulière. Chaque étoile a un sens précis pour faire ou comprendre les choses... Le ciel, cet univers infini, est perçu comme une carte, un modèle fondamental où l'on puise l'essence et l'ordre des choses. C'est donc vers le ciel et ses énergies cosmiques qu'il convient de rechercher les fondements de la vie, ces fondements dont le monde terrestre ne serait qu'un pâle reflet.

 

Il y a des étoiles positives et des étoiles négatives. Il y a aussi une communication importante et permanente avec les étoiles. Il est nécessaire de connaître le nom de chacune d'entre elles. Chaque étoile a son histoire. Autiboun [la voie lactée] a une très longue histoire. Les étoiles qui sont à droite appartiennent au monde positif, celles qui sont à gauche, c'est le négatif. Autiboun appartient aux forces de gauche. Lorsque les forces de gauche dominent les forces de droite, ce sont les difficultés qui s'annoncent, des choses négatives peuvent apparaître.

 

Sur les maisons, il y a toujours des "Troa" (sorte d'antennes en bois qui prolongent la hutte), ce sont des étoiles. Toutes les choses qui existent sur terre sont représentées à travers les étoiles. Il y a forcément une relation, ce qui est en bas est le reflet de ce qui est en haut. "Celui qui cueille une fleur dérange une étoile", écrivait un poète anglais.

La nature est dans le ciel, il faut toujours rechercher l'équilibre entre la terre et le ciel.

 

La loi traditionnelle est une règle établie depuis l'origine par la terre mère, la nature. Une loi qui doit être respectée et toujours entretenue sous peine de mettre la société et l'univers en danger.

Symboliquement, ces lois sont représentées à travers le personnage d'un enfant à qui revient la charge d'entretenir les lois. Les respecter, c'est respecter la Sierra et la vie.

 

"Les Blancs sont toujours dans la compétition, ils se battent entre eux. Chez nous, les gens sont les uns avec les autres, ils sont complémentaires. La loi nous aide à maintenir l'équilibre, comme dans l'ensemble d'un organisme vivant. C'est pourquoi elle se préoccupe des autres, de tous les autres, de leur conservation. Chez nous, chacun doit apprendre à remplir son rôle au service de la communauté. Pour nous, la terre est source de vie, elle nous donne les règles, c'est pour cela que nous l'appelons la terre mère, pour vous, elle est propriété, source de profits, marchandise. Comment peut-on vendre sa mère?"

 

Pour maintenir l'équilibre, pour que l'univers puisse poursuivre son cours normal, il faut faire des offrandes à la mère, à ses principaux enfants et à tous les maîtres, Pères et Mères qui vécurent dans les temps anciens et créèrent le monde. Eux seuls veillent à tout. Ils sont les "grands frères", par opposition aux Blancs qui sont les petits frères, qui n'obéissent qu'aux lois des hommes et qui vivent dans l'ignorance des lois de la nature.

 

Les Kogis pensent global et collectif là où nous pensons individuel et morcelé. Le fait qu'ils se vivent comme les fils et les filles de la terre, ce qui induit une relation particulière à la nature et au vivant. Le fait qu'ils vivent les dégradations et les destructions du vivant comme un drame, comme une menace profonde, vis-à-vis de l'équilibre et de l'harmonie de la terre dont ils se considèrent les gardiens. Les Kogis se pensent comme un prolongement, une continuité presque organique du vivant.

 

Parce qu'ils ont toujours privilégié le pourquoi, c'est-à-dire la recherche du sens, un pourquoi basé sur leur relation au vivant et les règles d'équilibre que suppose cette relation, les Kogis sont porteurs de clés indispensables pour réhumaniser le monde.

 

Ces "clés", ils les ont élaborées, mises au point à travers un ensemble de concepts, sorte de modèle écosophique ou philosophie écosystémique de l'existence, qui permet non pas de dominer la nature, mais d'en transcender certaines contraintes et de réimaginer d'autres relations à l'autre, au monde.

 

Il y a une décision qu'ils n'ont jamais prise, mais que nous avons prise, sans bien en mesurer les raisons ni les conséquences, c'est de séparer l'homme de la nature, de couper ce lien essentiel qui nous relie au vivant.

D'ailleurs, nous ne parlons plus de nature mais d'environnement : ce qui nous environne, qui est autour de nous. C'est comme si nous cherchions à mettre le plus de distance possible entre nous et cette nature sale, obscure, violente pour ne garder que le spectacle de son apparente harmonie. Une telle décision est lourde de conséquences.

 

La première, c'est que nous avons transformé la nature en objet. A ce titre, le vivant, et tout ce qui le constitue, rentre dans les règles et le système qui veut que tout puisse être acheté, vendu, transformé, pour peu que l'on puisse en tirer un profit. Dans le discours des entrepreneurs et des acteurs économiques, les termes utilisés sont des termes guerriers qui évoquent la lutte, la domination, les conflits, la nécessité d'être le plus gros, le plus rapide et le plus fort.

Des termes et des manières d'agir qui suscitent souffrances et injustices. Parfois, on évoque l'idée d'un comité d'éthique, d'un groupe de sages chargé de rendre un avis le plus souvent consultatif, lorsque quelque part, confusément, on sent bien que l'on va trop loin, trop vite.

 

Les Kogis, eux, n'ont jamais fait cette coupure. Ils considèrent le monde, l'univers, comme un énorme écosystème dont chacune des parties, visibles et invisibles, animales ou végétales, est nécessaire pour l'équilibre du tout.

De fait, pour eux l'homme n'a ni plus ni moins d'importance qu'un arbre, une rivière ou une montagne. La terre est une sorte d'énorme corps humain, la terre mère, dont les rivières seraient le sang ; les arbres et la végétation, le système pileux ; la terre, la peau ; les roches, les os ; le vent, le souffle ; et l'énergie, le système nerveux.

Une telle représentation du monde, fondatrice et millénaire, fait partie chez les Kogis de cette sagesse éternelle et immuable.

 

Qui sait que le monde est un tout, unus mundus, qu'aucune chose n'est séparée en ce monde et que les phénomènes émanent de nos esprits.

C'est cette vision du monde, ou plutôt cette "participation" au monde, qui fonde le système politique, social et religieux de la société Kogi. Un système dans lequel il n'y a pas de chef, où chacun selon son rôle, ses possibles et son expérience subjective participe à l'équilibre du tout, et où chacun se sent responsable du tout et de chacune de ses composantes.

 

S'ils ne sont pas de même nature, les Kogis sont eux aussi amenés à concevoir et mettre en œuvre des projets. Dans le cas de la construction d'un pont, par exemple, leur démarche va être la suivante : dans un premier temps, ils vont commencer par parler longuement du pont, de ses composantes, de l'emplacement où il va être construit, des rôles respectifs de chacun des participants ; ils vont passer en revue leurs dernières expériences en matière de construction dans ce domaine. Bref, ils vont consacrer un temps assez long dans ce que les chefs d'entreprise appelleraient "la phase d'analyse et de recherche de solutions".

 

Dans un deuxième temps, lorsque toutes les hypothèses ont été posées, les solutions évaluées, lorsque la "vision" de ce que va être ce pont est partagée dans ses moindres détails, les Kogis vont mettre peu de temps pour le construire. Dressé entre 5 et 10 mètres au-dessus de l'eau, ce pont peut avoir entre 15 et 20 mètres de portée. Ces ponts permettent le passage de deux personnes de front et sont construits à l'aide de bois et de lianes à l'exclusion de câbles, de cordes, de clous et autres matériaux étrangers à la Sierra. Une fois terminés, ils resteront en place plusieurs dizaines d'années, le plus souvent sans qu'aucune réparation soit nécessaire. Un savoir-faire d'experts.

 

Dans les organisations occidentales, on assiste plutôt au phénomène inverse. Les phases d'analyse et de recherche de solutions vont avoir tendance à être raccourcies, parfois même éliminées, au profit de l'action immédiate.

 

Ce que les Kogis ont parfaitement intégré, c'est le double rôle que joue cette phase d'analyse et de recherche de solutions. Bien sûr, elle permet que soit conçu et élaboré le projet, mais elle permet surtout son appropriation.

Ce qui fonde une telle logique de projet, c'est leur fonctionnement "écosystémique" basé sur une relation étroite, presque un prolongement, avec le monde naturel.

 

 

Verbalisation, anticipation des déséquilibres

 

Les Kogis attachent une attention particulière à la verbalisation, à la gestion des conflits et autres tensions portées par le groupe. Il y a tensions, conflits, lorsque l'énergie (la parole, le souffle...) ne circule plus, lorsque les règles ne sont plus acceptées et mises en pratique, lorsque le profane envahit et domine le sacré. Que cette posture de partage, d'écoute et de respect ne soit plus vécue et mise en pratique et c'est l'ensemble de la communauté qui se trouve menacée. Les personnes concernées vont alors être invitées à parler, puis à parler encore, et ce afin de pouvoir identifier l'origine de ce manque de respect, de ce déséquilibre.

 

Les personnes concernées vont voir le Mamu et lui demandent si elles peuvent parler, échanger avec lui.

Elles lui demandent alors d'être interrogées sur leurs derniers actes et les pensées qui les animaient lorsqu'elles les ont réalisés. C'est le Mamu qui dirige cet échange.

 

Les premières questions portent sur les rituels que chaque Kogi se doit de réaliser dans sa vie quotidienne :

"As-tu fait les offrandes au maître des arbres ? à la mère des rivières ? »...Puis, la conversation évolue vers le comportement religieux, les obligations sociales et son rôle dans sa famille : "t'es-tu disputé avec ton frère ? As-tu été visiter ton beau-père ? »...

 

C'est le respect des lois de la communauté qui évite la domination de l'individualisme, de la compétitivité, du non-dit et de la souffrance. Individus, familles, clans, communauté, à chacun de ces niveaux sont mises en place des procédures de verbalisation et de gestion des déséquilibres qui permettent d'éviter les ruptures et d'accompagner les membres du groupe dans les changements auxquels ils se trouvent confrontés.

 

Règles et références

 

A la base de ce système de vie, on retrouve les règles de la terre mère, règles sacralisées et ritualisées pour permettre leur appropriation par les membres du groupe. Ce sont ces règles qui vont garantir que le mouvement et la dynamique issus de la confrontation des différences (différences des fonctions, des finalités, des représentations, des subjectivités...) soient source d'enrichissement pour le collectif et non de déstructuration et d'éclatement. Basées sur des valeurs fondamentales telles que le respect, la tolérance, la transparence, et inscrites dans le lien que les Kogis entretiennent avec le vivant, elles se doivent d'être incarnées et repartagées régulièrement, pour ne pas se vider de leur sens et dévier vers une logique dogmatique et désincarnée.

 

Ces valeurs et ces règles ne peuvent vivre et être incarnées que si elles sont appropriées et réappropriées par le collectif à travers l'expérience (le rituel) partagée. C'est un travail permanent qui n'est jamais acquis une fois pour toute.

Chaque individu doit être reconnu comme faisant partie d'un tout. A ce titre, chacun a droit à la parole. Dans une telle société, il ne peut y avoir d'exclus ; pour fonctionner de manière équilibrée, le système a besoin de l'ensemble de ses composantes, même celles qui ne seraient pas forcément dans la norme, puisqu'elles renseignent le système sur la norme.

 

La notion de faute, présente dans les sociétés occidentales, est totalement inexistante. Il s'agit plus de déséquilibres physiques, psychologiques, sociaux qui, une fois rétablis, ne sont pas portés comme des sentences tout au long d'une vie. Le monde est compris comme un tout vivant et fragile dont les composantes sont en permanente interaction, ce qui oblige chacun à se sentir responsable de l'ensemble.

 

Ce sont les liens de l'expérience sacralisée qui réunissent l'ensemble et lui donnent sens. Ce monde ne sépare pas, il réunit.

Comme disent souvent les Amérindiens, "le monde est le fruit de notre rêve , changeons nos rêves, nos attentes, nos espoirs et nous changerons le monde". Aujourd'hui, noc rêves sont assez simples. Ils sont construits sur la peur et la domination. Peur de perdre ce que nous avons et qui ne nous appartient pas, besoin de dominer l'autre, le vivant, l'inconnu.

 

Là où les Kogis nous parlent fraternité, nous parlons jugement...

 

Dans leur mode de pensée, un délit, quelle que soit sa nature, est considéré comme un déséquilibre dont il convient avant tout de trouver l'origine. Pendant plusieurs jours, parfois jour et nuit, sans dormir et sans manger, le coupable doit "se confesser", raconter et raconter encore pourquoi il a commis ce délit, quand il l'a commis, quelles étaient ses pensées avant de le commettre, pendant et après l'avoir commis. Parfois, le simple fait de penser un délit, un adultère ou un vol peut être aussi grave que l'acte lui-même. La question posée, toujours la même est généralement ; "Et où étais-tu à ce moment-là"?, "où étais-tu, que faisais-tu et à quoi pensais-tu?" Des questions qui se doivent d'être entendues au sens physique et spirituel du terme. La personne en cause doit répéter et répéter encore sa "confession" jusqu'au moindre détail, ce détail qui pourrait expliquer le déséquilibre ou le délit.

 

A chaque offense, chaque déséquilibre, correspond une combinaison de punitions plus ou moins longues et difficiles. Des punitions mais aussi des conseils.

Il ne s'agit pas d'exclure un peu plus la personne concernée, mais au contraire de lui permettre de retrouver les règles et l'harmonie. Prodigués sous forme de courts "récits",

ils servent à illustrer les règles morales qui fondent la collectivité. Y sont évoquées la vertu, la justice, l'entraide,

la solidarité, la responsabilité personnelle, l'authenticité.

Jamais un Kogj ne trompera autrui et ce besoin toujours d'être en accord avec les règles, l'autre, le monde.

Mais en règle générale, criminalité, délinquance, violence et prostitution sont totalement inexistantes.

 

Dans la société Kogi, la femme, la mère, et d'une manière générale la dimension féminine de la vie, sont particulièrement respectées. Dans leur mythologie, les neuf mondes sont symbolisés par les neuf filles de la mère, la dernière étant la neuvième terre, la terre noire, l'utérus créateur des structures de l'univers. C'est la "terre mère" qui donne la vie, c'est elle qui est à l'origine de toute chose, c'est elle qui fonde la culture Kogi.

 

En ce qui concerne la vie quotidienne, la répartition des activités entre hommes et femmes est stricte. Seuls l'agriculture, les constructions de maisons ou de temples, les travaux d'intérêt collectif et la pratique de certains rituels, dont les rituels de divination, sont pratiqués en commun.

 

C'est le cas du rituel de décision, pour prendre une "juste" décision, il faut solliciter les deux composantes de la vie, masculine et féminine, lunaire et solaire, celle du bas et celle du haut. Toute décision doit naître d'une relation d'équilibre entre les deux pôles de la vie, les deux pôles entre lesquels notre terre doit trouver son équilibre.

 

Dans cet "univers écosystémique", univers d'interrelation et d'interdépendance, chacun peut apprendre de l'autre ou apprendre à l'autre, qu'il soit homme, animal, montagne, ou rivière...

Le vivant est en co-apprentissage mouvant, permanent, évolutif Alors l'enfant apprend et expérimente ses propres décisions. Très vite, il devient responsable de ses actes, de ses pensées. "La méthode d'enseignement indienne traditionnelle privilégie toujours l'autoformation sous forme de révélation personnelle ». On n'enseigne pas en expliquant ou en donnant à l'autre le sens des choses que l'on perçoit (hétéro formation), parce qu'on ne réduit pas la signification des êtres à ce que l'on en perçoit ou comprend. Au contraire, lorsque les anciens enseignent, c'est plutôt par une mise en contact avec l'influence spirituelle contenue dans le mythe de la nature ou dans le rituel, là où chacun reçoit une information intérieure.

 

 

De curieuses huttes en chaume, coiffées de leurs étonnantes antennes où se tiennent les réunions, sont des Kankuruas, mais des Kankuruas particulièrement sacrées.

Lieu intégrateur, la Kankurua symbolise l'univers, mais aussi la Sierra, et donc, l'univers de vie des Kogis. De fait, pénétrer dans la Kankurua, c'est pénétrer dans la Sierra et entrer en communication avec les neuf mondes, les neuf états de conscience qui la composent, symbolisés par des cercles de bois dans le toit. Dans cet espace, représentation de l'utérus maternel, matrice créatrice de l'univers, chacun se sent protégé, en sécurité, loin des difficultés du monde extérieur.

C'est aussi un espace démocratique, où, selon un rituel précis, chacun peut exprimer ce qu'il ressent, ses rêves, ses envies, ses peurs. Une manière de formaliser et d'exprimer ses sentiments, qui permet d'aborder et de résoudre les difficultés de chaque membre de la collectivité.

 

Chez les Kogis, la parole est importante. Au-delà de sa signification première, elle véhicule les émotions, la vie intérieure de celui qui l'utilise.

Dans leur univers, avant tout échange ou rencontre d'importance, les Kogis se doivent de créer les conditions qui permettent "d'ajuster" les énergies, les projections, les attentes, sorte de sas de régulation entre les possibles, les envies des différentes parties en présence.

 

Pour pouvoir communiquer, il faut se mettre en situation d'harmonie et d'écoute réciproque, où l'on retrouve le concept de "yuluka" selon lequel il convient de se mettre en harmonie avec le monde, les êtres, pour prétendre pouvoir échanger avec eux.

 

Jalousies, envies, peur, ego, joies, pouvoir, émotions, les Kogis ont les mêmes préoccupations, les mêmes questions, les mêmes difficultés que toutes les communautés humaines. Les mêmes préoccupations, mais pas les mêmes réponses.

Là où nous avons choisi d'investir avec succès dans la transformation de la matière, dans le comment, les peuples premiers en général et les Kogis en particulier ont privilégié les relations aux autres et au monde, le pourquoi.

 

 

Exclusivement utilisé par les hommes, le métier à tisser incarne le monde. Il rend l'ordre pensable en offrant une forme aux possibilités. Regarder ou utiliser un métier à tisser, c'est entrer en interaction avec l'univers et les forces cosmiques qui l'animent. Les Kogis disent que tisser, "c'est penser, c'est mettre les choses en accord les unes avec les autres. Comme la vie, le tissu a deux faces. Le soleil symbolisé par le fuseau, progressant d'arrière en avant, tisse en permanence les deux faces de l'étoffe, une face pour le jour et une face pour la nuit, pour la lumière et pour les ténèbres, pour la vie et pour la mort."

 

Tisser, pour les Kogis, revient donc à construire sa vie dans le cadre d'un ensemble de relations qui permet "d'enrouler les pensées et d'être enveloppé dans la sagesse de la vie comme on s'enveloppe dans un tissu." La qualité de la vie dépend de la pensée des hommes. »

Les pensées doivent être belles et bonnes pour que la vie du Kogi soit digne, sincère et heureuse. "Je tisserai l'étoffe de ma vie, je la tisserai blanche comme un nuage. J'y tisserai un peu de noir, j'y tisserai des épis sombres de maïs, quand le cœur pense, il tisse les pensées forment une étoffe".1

 

Chacune des trois composantes des vêtements Kogis est rattachée à un territoire particulier. Traditionnellement, le pantalon doit être fait en coton, une plante cultivée en terre chaude. La tunique, tissée à partir de la laine symbolise les espaces tempérés où paissent les troupeaux de moutons. Quant au boro (curieux chapeau pointu symbole de la fonction de Mamu), il est élaboré à l'aide d'une fibre végétale que l'on trouve en altitude.

Trois manières différentes, trois étages thermiques, une manière privilégiée, symbolique, de rester en relation avec les univers naturels de la Sierra.

 

Pour eux, récupérer un territoire ne veut pas simplement dire en être propriétaire, mais tenter de le "réveiller", de le purifier en faisant tous les rituels nécessaires pour réparer les dommages causés par les actes aveugles des "petits frères" (les blancs).

Pour pouvoir réaliser ce travail, le Mamu doit mettre en place un long processus de divinisation et de rituels.

Cela va lui permettre de reconstituer l'histoire de cette terre, ce qu'elle a vécu, de localiser et de sentir ses cicatrices. Il lui faudra ensuite préparer les offrandes,

ces pagamientos qui calmeront les offenses, cicatriseront les plaies et apaiseront le monde. Mais avant toute chose, le Mamu va devoir baptiser cette nouvelle terre, la faire revenir dans le monde des vivants, renouer les liens avec l'esprit des ancêtres. Comme pour un individu, une terre se doit d'être "baptisée", elle doit avoir un nom, retrouver sa place, son rôle.

 

Les Kogis sont avant tout des agriculteurs.

A ce titre, ils connaissent, étudient et suivent avec la plus grande attention les phénomènes cycliques de la nature. Toute culture est menacée par des prédateurs naturels, insectes, rongeurs, oiseaux ou limaces.

 

Ayant connaissance des rythmes diurnes et nocturnes des activités de ces animaux, le Mamu établit des correspondances entre ces derniers et les cycles soli-lunaires. Les animaux n'attaquent les plantes que lorsque leur cycle est synchronisé sur celui de végétal.

Les phases lunaires sont donc déterminantes, car la croyance veut qu'elle détermine les cycles biologiques. De même, elle stipule que le comportement des animaux est totalement calqué sur les cycles soli-lunaires.

 

Le rôle du Mamu, lié à son intime connaissance des cycles de vie d'un territoire, consiste à reporter le cycle normal de connaissance du végétal, en demandant à la communauté de retarder les semences de quelques jours, voire quelques semaines par rapport à la date propice.

Lorsque les pluies surviennent, les animaux accordent sur elles leur rythme biologique. Lorsque les plantes vont commencer à germer et qu'elles pressentent leur plus grande vulnérabilité, leurs prédateurs naturels ont atteint un tel stade de développement qu'ils ne sont plus vraiment nuisibles.

Là où nous voulons dominer, les Kogis apprivoisent...

 

 

(Chez les Dogons, une légende rapporte qu'un génie utilisait des fibres célestes, qu'avec une partie, il formait la chaîne qui prenait appui entre les dents de sa bouche, qu'avec l'autre partie, il formait la trame, et sa langue servait de navette pour former le tissu et au fur et à mesure qu'il parlait, le tissu s'élaborait. C'est pourquoi l'on dit qu'un homme sans parole est un homme nu.)...

 

 

Dans la société occidentale qui est la nôtre, depuis qu'un homme a mis des barrières avec des barbelés en disant : cette terre est à moi, depuis que nous avons réduit notre rapport à la nature à l'idée d'objet qu'il convient de maîtriser et de posséder, nous avons créé le terreau de la guerre et de la violence.

 

 

 

Les Kogis remarquent : "C'est bizarre, chez vous, dans vos pays, vous dépensez une énergie folle pour faire des lois et pour les changer quand cela vous arrange. Vous avez une armée, la police, pour les faire respecter, et si quelqu'un ne les respecte pas, il va en prison. La nature a aussi ses lois, ce sont les lois de la vie, ce sont celles-là qu'il faut connaître et protéger, et vous ne les respectez jamais. »..

 

A SUIVRE

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06/02/2019
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