Les dits du corbeau noir

Bardisme : le poète, la mer et le rivage selon les textes anciens et commentaires Bran du mars 2015

Poésie Celtique du rivage Mars 2015 Bran du

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Oeuvres gravées de Christian Tual

 

Pour "nourrir" la soirée lecture dans le cadre du festival ART ETRE et NATURE du 20 au 26 avril au Val André 22370 consacré aux "Ecritures du Rivage" voici en avant première une partie des textes retenus...

 

"Je suis vent sur la mer,

je suis vague de l'océan,

je suis le bruit de la mer....

Je suis le saumon dans la mer..."

 

Amorgen (barde gallois et "file" légendaire)

 

Lequel débarquant sur l'île d'Irlande prophétise ceci en incantant ces mots :

 

"Mer poissonneuse,

pays plein de fruits,

jaillissements de poissons,

poissons sous la vague,

comme des nuées d'oiseaux,

mer rude !

Grêle blanche,

avec des centaines de saumons,

de larges baleines,

jaillissements de poissons,

mer poissonneuse !"

 

Les textes issus de l'oralité bardique montrent l'importance du lien tissé par le monde celtique avec la mer, les îles et le rivage avec toutes les analogies et métaphores que l'imaginaire développe à leurs contacts...

 

Le "file" ou barde exerce un pouvoir sur les eaux, sur les vagues et sur la mer qu'il "maîtrise"... Son "verbe", sa "Parole", sont une "vague prophétique"... (le barde "vient de la mer" et retournera sur l'île des bienheureux au terme de son périple humain.)

 

"...Le ciel, la terre, le soleil, la lune et la mer,

les fruits de la terre et les algues de la mer..." tout cela est offert par les dieux et déesses au banquet fraternel des hommes d'Irlande qui s'assemblent sous l'égide de ces divinités...

 

Le "serment" celtique qui engage au-delà de l'existence même, est prononcé à la fois "sous le ciel qui est au-dessus de nous, sur la terre qui est en dessous de nous et devant la mer qui nous entoure." Ces éléments sont pris à "témoins" ; ils sont une caution, ils sont garants, et nous aurons à répondre de la fidélité à nos engagements devant eux...

(Oublier son serment est un "crime")...

 

Le druide ayant atteint le sommet de son art est dit "docteur" en science et poésie mais aussi "mer d'abondance"...

 

Voici quelques extraits de la littérature celtique qui illustrent ce "rapport" intense avec cet "Elément" qui, avec le feu, est à l'origine de toute chose mais aussi au terme de toute vie et de tout cycle de vie...

(Source et traduction : CH J Guyonvarc'h et Françoise le Roux (les Druides) Ed Ouest France)

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Le Combat des arbres (Cad goddeu) de Taliesin, barde gallois (6ème siècle) (Extraits)

 

"...J'ai revêtu une multitude d'aspect avant d'acquérir ma forme définitive.

 

J'ai été mot parmi les lettres. J'ai été livre dans l'origine.

 

J'ai été goutte de pluie dans les airs. J'ai été goutte de l'averse.

 

J'ai été corde d'une harpe.

 

Ainsi pendant 9 années. Dans l'eau, dans l'écume....

 

J'ai été éponge dans le feu

 

J'ai été formé par l'eau du 9ème flot

 

J'ai été dans la barque avec Dylan, fils de la vague.

 

J'ai été vipère dans un lac

 

...///...

 

Mon cheval Melygan ; il est doux comme un oiseau de mer

 

qui ne quitte jamais le rivage tranquille...

 

J'ai dormi dans cent îles.

 

 

Barde de la primitive nature, selon les lois de vos maîtres,

 

Dites les grands secrets du monde que nous habitons.

 

....////....

 

Trois fontaines il y a, en ses réceptacles,

 

Abondantes autour de lui et coulant à travers lui...

 

Ce sont les cornes humides du dispensateur des eaux.

 

Voici ce que sont ces trois fontaines jaillies de la profondeur centrale !

 

La première est issue de l'eau salée quand elle s'élève dans les airs parmi les mers fluctuantes et pour y fondre ses courants.

 

La seconde est celle qui, naturellement, s'abat sur nous lorsqu'il pleut à travers les atmosphères sans bornes...

 

La troisième est celle qui jaillit des veines des montagnes....

 

...///...

 

On m'appelait l'Homme de la Mer (Mor-Dyn)

 

Mais, les rois de l'avenir m'appelleront Taliesin...

 

Je continue d'évoluer entre trois éléments.

 

...///...

 

Le feu

 

Il éclate avec une fureur sans égal, le feu rapide et véhément.

 

Son chemin est un ruisseau ; il rage dans les grands courants

 

Dans les sourires de l'aube repoussant l'obscurité...

 

Je suis celui qui anime le feu...

 

...///...

 

En des fêtes rituelles, je glorifie le maître, dans la joie la plus complète parmi les abeilles du matin

 

...Dans l'écume de la mer.

 

Les courants écumeux et profonds sont le don de Dieu.

 

Je sais quels sont les quatre éléments, mais, lors fin ne m'est pas connu.

 

Je sais combien sont les gouttes dans l'averse doucement éparpillées.

 

Je connais celui qui remplit la rivière

 

Je sais combien sont nombreux les ruisseaux, les vents ; combien nombreuses sont les rivières.

 

...///...

 

L'inspiration que je chante, je l'apporte des profondeurs.

 

 

Une rivière, pendant qu'elle coule, je sais son étendue, je sais quand elle disparaît, je sais quand elle se remplit.

 

Je sais quelle base il y a sous la mer.

 

Je connais sa mesure.

 

Je connais la loi de l'inspiration féconde, sept vingtaines de déesses ont part à l'inspiration, mais, dans ces vingtaines, une seule vraiment.

 

Il n'y aura pas de chaudron à bouillir sans feu.

 

Trois vingtaines d'années, j'ai supporté la vie terrestre dans l'eau de la loi et de la foule, dans les éléments de la terre.

 

Je suis dépositaire du chant.

 

Coupable est celui qui, par des actes divers à perdu le céleste pays et la grande amitié.

 

Il y a trois fontaines sous la montagne des dons. Il y a une citadelle sous le flot de l'océan."

 

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Le poète André Breton avait perçu la "richesse extrême de la Parole bardique". Il nous en dit ceci :

 

Braises au trépied de Keridwen.

André Breton (extraits)

 

"...Le grand arbre (celtique) a été abattu.

On en est réduit, à la surface du fleuve, à voir étinceler au passage ses feuilles d'or ou d'argent et a soupçonner, sur des empreintes, les hautes présences qui l'entouraient.

 

De lui, il nous reste la poésie kimrique ou bretonne dont nous tenons tout ce qui a pu être sauvé, en sagesse et en possibilité de dépassement.

 

Ce trésor s'offre à la façon de ceux de notre enfance enfouie dans un coffre ruisselant d'algues et constellé de coquilles, criant sur ses gonds dès qu'on veut faire mieux que l'entrouvrir. Mais, alors, il laisse filtrer quelques rayons du bouclier d'Arthur et, au point où nous en sommes aujourd'hui, on n'a pas fini de s'assembler autour de lui sur la grève."

 

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Les Lamentations de la Vieille Femme de Beare (texte médiévale anonyme traduit du gaélique par Derry O'Sullivan, Jean Yves Bériou et Martine Joulia)

 

Extraits :

 

Jusant me vient, comme à la mer ;

ma vie reflue, en jaunissant....

 

C'est moi Bui, la vieille diablesse de Beare ;

autrefois, toujours parée de neuf ;

aujourd'hui, misère m'étreint et j'erre

sans un haillon pour me couvrir la peau.

 

...///...

 

Réclamer, certes vous vous y entendez,

mais qu'on vous prie, vous accordez bien peu ;

si peu vous donnez,

si fort vous le criez !

 

...///...

 

Voyez ces bras

osseux et décharnés;

leur art était si doux :

enlacer des rois glorieux.

 

.../...

 

Jeunes filles, réjouissez-vous

voici Beltaine qui s'approche ;

moi, la tristesse me va mieux ;

outre de ma misère, je meurs de ma vieillesse.

 

Le miel de mes paroles a séché ;

à mes noces plus de bélier égorgé ;

ma chevelure est éparse et grise,

peu importe le haillon qui la couvre.

 

...///...

 

la mer, je l'entends son immensité qui crie,

j'écoute l'hiver qui soulève ses vagues ;

Homme libre ou fils d'esclave,

aujourd'hui, je n'attends plus personne.

 

...///...


Hélas,

je ne naviguerai plus sur la mer de la jeunesse !

Mes belles années, ma beauté, tout cela a sombré,

au large du plaisir, ô ma liberté consumée.

 

...///...

 

J'ai brûlé ma jeunesse, ce fut une naissance,

et je ne regrette rien, j'ai tout voulu ;

derrière les haies, ma cape tant de fois j'ai étendue :

sagesse ou pas, les capes s'usent à la fin.

 

.../...

 

J'ai eu mon jour avec des Rois,

à bore le vin et l'hydromel ;

désormais je bois du petit lait...

 

...///...

 

Toutes ces vagues, celles du flux,

puis si vite, le reflux :

tout ce qui nous est ainsi accordé,

aussitôt, de nos mains se soulève et s'enfuit.

 

...///...

 

Toutes ces vagues, celles du flux,

et les suivantes, du reflux,

toutes me sont venues,

je les reconnais toutes.

 

...///...

 

Humain ...///... Tu peux bien admirer le flux,

le reflux t'emporte, aveuglé.

 

...///...

 

Bien heureuse, l'île sur la mer immense :

reflux, puis flux, une suite sans terme ;

mais moi, que puis-je escompter ?

Jusant est là, tout flux banni à jamais.

 

Aujourd'hui, je ne reconnais rien,

aucun lieu, aucun moment, rien.

Tout ce qui vint de par le flux, tout,

reflue, Tout.

 

Jusant me vient.

 

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Dans le monde celtique, les bardes vont chercher leur inspiration sur le rivage, incantent au-dessus des lacs, des fleuves et de la mer...

 

Dans "la Seconde Bataille de Mag Tured" la "Morrigan", déesse de la guerre, prophétise dans une vision où se mêlent les catastrophes tant humaines qu'écologiques (tout cela étant la redoutable et tragique conséquence d'une "inversion des valeurs" traditionnelles) :

 

"Je verrai un monde qui ne me plaira pas :

Eté sans fleurs,

vaches sans lait,

femmes sans pudeur,

hommes sans courage,

captures sans roi,

arbres sans fruits,

mer sans frai...

Mauvais avis des vieillards,

mauvais jugements des juges ...///...

J'ai, à la vérité, de terribles nouvelles...

Le bétail du monde sera stérile ;

les hommes rejetteront la modestie ;

les usurpateurs seront nombreux ;

les hommes seront méchants ;

la vérité ne garantira plus l'excellence ;

Tout art sera de la bouffonnerie ;

tout mensonge sera préféré...

 

Chacun sortira de son apparence avec arrogance, si bien qu'on n'honorera plus ni rang, ni âge, ni dignité, ni art, ni instruction...

Tout homme compétent sera brisé ;

la loi sera détruit ;

le chemin disparaîtra pour tout le monde...

 

Chacun imposera sa limite à l'autre ;

la trahison sera sur chaque colline ;

chacun blessera son voisin ;

les sages seront méprisés ;

la musique tournera en grossièreté ;

la sagesse tournera en mauvais jugements...;

il viendra une grande avarice... ;

Chacun tournera son art en mauvais enseignement et en fausse intelligence... ;

l'homme fier vendra son honneur et son âme...

Le peuple sera bafoué...

Les poètes ne produiront plus...

La justice sera abolie...

Chacun deviendra esclave avec toute sa famille...

Après cela il viendra de nombreuses et cruelles maladies, des tempêtes subites et effroyables avec des pleurs d'arbres.

L'été sera sombre, l'automne sera sans moisson, le printemps sans fleurs...

Il y aura mortalité avec famine...

Parjures...

Les fleurs périront...

La mer envahira chaque terre...

Il y aura deuil après les massacres...

les essaims d'abeilles seront brûlés dans les montagnes ;

Les flots de la mer sur la plage seront retardés d'un jour à l'autre....

 

Ô fils, grandes nouvelles, nouvelles horribles, mauvais temps."

 

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La quête celtique et incessante de l'Autre Monde ou encore des îles du Nord du Monde, (lieu des origines et des fins, territoire des hommes et des druides primordiaux, berceau de la sagesse druidique) implique une "navigation", car l'océan est le "passage" obligé qui mène à l'accomplissement de soi et à l'éternité de l'instant épanoui dans le Chaudron matriciel de la création......

 

Ce sera le cas dans la "Navigation de Bran", alors que pour "Conn aux cent batailles", ce sera la recherche d'une éternelle félicité ; laquelle est généreusement et abondamment dispensée sur la "Terre des Vivants" par le "Féminin" sous la forme de la Déesse ou de la Femme Consacrée à l'Amour ; Servante et Initiatrice de Celui-ci... Conn quittera les siens et le rivage de son ancienne vie et montera dans la barque avec la Femme venue le chercher...

 

"C'est pour cette raison que tu as un désir plus grand de t'éloigner d'eux sur les vagues, pour que nous allions dans ma barque de verre et que nous atteignons le syd de Boadach" (Un pays qui rend plein de joie l'esprit de quiconque y va...)

 

La Navigation de Bran (extraits)

 

"Il est une île lointaine ;

tout autour resplendisse les chevaux de la mer ;

course blanche le long de la vague écumante

que soutiennent quatre pieds (piliers)

 

...///...

 

Des pieds de bronze blanc sous elle :

elle brille à travers les mondes délicieux,

terre aimable à travers les mondes de vie,

où pleuvent un grand nombre de fleurs.

 

Il y a l'arbre avec des fleurs

sur lequel les oiseaux appellent aux heures,

et c'est dans une harmonie coutumière

qu'ils appellent tous ensemble à chaque heure.

 

Des couleurs de toute teinte resplendissent

à travers les plaines aux voies enchanteresses ;

la joie est habituelle, tout autour de la musique

dans la Plaine du Sud de la Nuée d'Argent.

 

On n'y connaît ni tristesse, ni trahison,

dans le pays bien connu du plaisir.

Il n'y a aucune parole rude ou grossière,

rien qu'une agréable musique qui frappe l'oreille.

 

Sans chagrin, sans deuil, sans mort,

sans maladie, sans faiblesse,

C'est ce à quoi on reconnaît Emain.

On ne cherche pas une merveille égale.

 

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Beauté de la plus merveilleuse terre

dont les apparences sont gracieuses ;

quand on la regarde elle est extrêmement belle ;

on ne trouvera pas d'aussi beau brouillard.

 

Si l'on regarde la plaine de bonté

où pleuvent des pierres de dragon ou de verre,

où la mer lance des vagues vers la terre,

tresses de cristal de sa chevelure.

 

Des trésors et des richesses de chaque couleur

sont dans la Terre, beauté toute de fraîcheur ;

on y écoute une musique douce

tout en buvant un vin exquis...

 

...///...

 

Emain aux nombreuses apparences devant la mer,

qu'elle soit proche, qu'elle soit lointaine ;

il y a plusieurs milliers de femmes bigarrées

que la mer pure encercle.

 

Quand il a entendu le son de la musique,

la douce chanson des oiseaux dans la grande tranquillité,

un choeur de femme descend de la colline

vers la plaine des jeux.

 

Le bonheur vient avec la santé

au pays où s'élèvent les rires,

dans la grande tranquillité, pour chaque temps ;

la richesse vient avec l'abondance.

 

C'est un jour de beau temps éternel

qui répand l'argent sur les terres,

rocher très blanc sur le brillant de la mer,

sur lequel vient la chaleur du soleil.

 

...///...

 

On n'attend ni reflux ni mort.

 

On écoute la musique dans la nuit

et l'on arrive dans l'île aux multiples couleurs,

pays magique, splendeur sur un beau diadème

d'où brille la nuée blanche.

 

Jeux agréables et plaisants,

ils se réjouissent devant le vin qui s'enfle,

hommes et femmes jolies derrière le buisson,

sans péché ni transgression.

 

C'est sur le sommet des arbres que nage

le bateau parmi les cimes ;

ds arbres pleins de fruits succulents

sous la proue de ton petit bateau.

 

Des arbres avec des fleurs et des fruits,

sur lesquels s'étend le vrai parfum du vin,

des arbres sans ruine et sans défaut

sur lesquels sont des feuilles de couleur d'or."

 

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En cela et par cela nous sommes considérés "bardiquement" comme des enfants de l'océan  ( de la mer !), des fils et des filles de la vague, des "poètes du rivage"...

Ainsi l'Estran et la mer qui le parcoure sont nos lieux élus, nos territoires d'envols et d'embarquements, les promontoires et les tremplins de notre imaginaire et de nos espérances...

Nous sommes lors, de passage, mais ce passage nous conduit vers les îles bienheureuses d'une immortalité joyeuse et vivante au sein des énergies, forces et lumières éternelles !...

 

Bran du                       27 mars 2015

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