CARNET DE SEJOUR : L'YONNE ET REFLEXIONS SUR l'ART DE LA NATURE (BRAN DU-OCTOBRE 2015)
PACY aux confins de l’Yonne Automne 2003... Bran du
Carnet de séjour
La brume noie encore le fond de la vallée...
Quelques psalliotes pourrissent dans la frange clairsemée d‘un bosquet visité par un pâle soleil...
Je marche sur la terre lourde, grasse et retournée...
Je marche avec attention et vigilance, l’oeil aiguisé comme ces milliers de silex ramenés à la lumière du jour…
Je marche dans un atelier à ciel ouvert parmi les écailles de pierre, les fragments minéraux, les nodules, les rognons, les millions d’éclats issus d’un noyau primordial, et de l’action d’une alchimie millénaire...
C’est jour de fièvre, c’est jour de collecte...
Tant de merveilles sous les pas, à portée de regards, de coeur et d’intelligence...
Oeuvre fabuleuse dont la signature ne saurait se lire si ce n’est de façon fragmentaire tant elle recouvre les profondeurs de la terre et l’immensité du ciel...
Poser sa chair périssable entre deux blocs, entre deux paroles indicibles et cependant perceptibles ; paroles ayant forme, paroles manifestes incrustées dans un silence complice et fidèle à sa propre parole...
Le regard tient lieu de langage, il capte, déchiffre, examine et transmet les éléments “perçus” lesquels sont alors “traités” et restitués sous forme analogique, repérés, classés ou non par rapport aux référents, “encodés” et “identifiés” ou non selon leur affinités...
L’absence de “référents” est le gage certain d’un plus grand enchantement (la sympathie relève alors d’une autre nature) et donne à la découverte tout son sens en proposant une approche de son Essence même...
C’est à chaque fois la rencontre sensible, émotionnelle, jubilatoire d’un “autre monde” à la fois semblable, différent, unique, singulier et pluriel...
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C’est un alphabet inconnu, mais lisible au-delà de nos apprentissages, une langue minérale et végétale que nous avons parlé jadis et dont il subsiste encore quelques fragments dans notre mémoire et notre inconscient pour en retrouver partiellement l’usage et en faire la lecture...
C’est un catalogue de l’infini, infini des formes surtout pour ce qui est de ce champ de silex dont je tourne et retourne chaque élément besogné par le temps et les éléments...
La ligne n’existe que dans la “fracture” sinon la courbe domine ; c’est elle la forme première, l’oeuf primordial enceint d’autres structures aussi mystérieuses les unes que les autres...
Les brisures donnent parfois à lire le noyau et l’embryon pétrifié d’un rêve, d’une évolution en devenir...
Etoiles mortes portant au coeur des cristaux d’étoiles que seul le “hasard” qui brasse et concasse le monde souterrain peut révéler à nos yeux émerveillés...
Quelle leçon d’humilité et de modestie parmi tant de chef d’oeuvre assemblés ; modèles de perfection, d’imagination, de fantaisie, d’ingéniosité...
Je suis là, devant l’incroyable multiplicité qui s’offre au parcours des sens et de l’esprit...
Source intarissable d’inspiration et de contemplation...
Quelques pierres seront ramassées représentatives des critères précitées et gardées pour la beauté qu’elles représentent pour le regard qui à fait élection et choix...
Regarder c’est mettre la pensée à nue...
La nudité est un état troublant qui ébranle les “résonances” et qui suscite la “pénétration”...
(Surtout quand la pierre ne cesse de se dévoiler et qu’elle demeure finalement “inviolée”)
Trajectoire époustouflante qui remet l’homme en son état premier faisant économie des strates de l’Histoire...
Quand plus rien ne s’interpose entre le regard et ce qu’il contemple alors surgit la magie, la féérie...
Matéria Prima, Terra Incognita...
L’amour est au plus nu, au plus clair, au plus vrai...
Le feu couve dans le nid des braises...
L’attente est flamboyance...
Il n’est qu’échange d’énergies pures...
La poésie retrouve le vecteur originel de sa relation...
Elle se tient là entre les paumes qui soupèsent un corps de mystère et qui pressent contre leur sang une fraction interpellatrice de l’Origine...
Ce grand mystère, lors, se partage et se vit...
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Art Nature... Bran du
Jubilation, c’est bien le terme approprié...
Que ce soit dans le collectage de silex, dans celui de “pierres percées” sur le Causse Méjean (Ces pierres qui vous regardent, vous interpellent, et offrent leur orbite vide à une certaine perception de la plénitude et de la béance...) ou encore le ramassage des vieilles écorces de platane, l’écorchage de bouleaux morts, les moissons de bois flotté et autres trésors amenés par les marées, il y a cette joie absolue, cet enchantement permanent, à chaque fois renouvelés, intensifiés...
C’est un sentiment “privilégié”, une conscience profonde, exaltée, comblée, de participer, en l’instant, “ici et maintenant” à une jouissance immédiate, totale et irradiante qui comporte déjà une idée de partage à venir ce qui n’est pas sans amplifier l’effet jubilatoire provoqué...
De cette collecte naissent deux types de “travaux” : La mise en oeuvre ou la mise en scène des objets ou matériaux collectés...
Il s’agit soit de restituer l’oeuvre trouvée telle quelle sans aucun ajout et de favoriser la rencontre avec son “contemplateur” à venir soit d’opérer des “transformations” en l’insérant dans un processus créatif dont elle demeurera l’argument “majeur”... (L’artiste se lie plus ou moins ou se relie ou non à ce qu’il expose, il participe ou non des noces et des rencontres...)
(La beauté première est donc soit exposée à l’état “pur” soit voilée, soit exaltée, soit incorporée à d’autres trajectoires des sens et de l’esprit tout en demeurant le “lien”, l’axe majeur de la transmission...)
L’artiste ne peut et ne doit à mon avis interférer sur le “fonds” mais il peut intervenir au niveau de la forme avec le risque de “dénaturer” ou de “détourner” le “regard premier”...
L’ajout n’a de sens qu’au niveau du lien que souhaite instaurer l’artiste avec celui qui contemple l’œuvre, mais il ne saurait masquer le “matériau brut” et tout ce qu’il donne à découvrir d’intimité à celui ou celle dont le regard se donne à voir sans nécessité d’intermédiaires !
(Il n’est pas interdit de faire oeuvre de complicité, d’inventivité et de dialogue avec l’oeuvre première)….
L’important pour l’être étant d’être créateur, plus exactement co-créateur au sein de la Création et de l’Evolution et d’avoir pleine conscience de ses apports humbles, mais exaltants dans les avancées de l’imaginaire et de la novation…
La nature, ses ateliers comme ses athanors, reste le modèle absolu des enseignements majeurs…
Nous tirons de ses « sucs », de ses « sèves », de ses parfums, de ses couleurs, de ses flux et reflux, de ses variations étonnantes et merveilleuses, de la multitude de ses formes en constante transformation, une substance essentielle et nourricière qui inspire notre pensée et qui l’associe à ses œuvres…