Les dits du corbeau noir

CARNETS DE SEJOURS : L'HERAULT

ST SATURNIN DE LUCIAN (HERAULT) Sept 2009    Bran du

(A Armelle, Thierry, Soisic, Marie-Pierre, Aymen et mes petits-enfants)



L’origine du village porte à discussion…

Certains considèrent que LUCIAN vient de LUCIANUS qui serait le nom d’un propriétaire d’une villa gallo-romaine dont des vestiges ont été retrouvés sur la commune.

D’autres se réfèrent au terme LUCANOS soit un terme où l’on décèle une origine gauloise à partir de la racine LUC faisant référence à LUG, l’un des dieux du panthéon celtique associé aux sommets et à la lumière (Belenos, autre déité de ce panthéon, étant un autre aspect de la lumière «divine» d’où les monts Bélen ou Bel air)...

LUCANOS serait l’ancien nom donné au Rocher des Deux Vierges (piton dolomitique à l’extrémité Ouest de la Montagne de la Serrane qui culmine à 539 m et domine le village et la plaine). Quant à l’intitulé «des Deux Vierges», il s’agit, en fait, du nom d’une famille noble qui régna sur le comté et non de celui de deux soeurs qui auraient conservé leur virginité.

Cela a été parfaitement démontré par les recherches d’un brave curé féru d’histoire locale…

L’archéologie a prouvé la présence, à cet endroit, d’un oppidum celtique…

Une chapelle fut édifiée au XI è siècle sur cet emplacement.

Il s’agit d’un édifice dédié à St Fulcran (évêque de Lodève).



Il subsiste aussi des vestiges d’un château fort datant du XI è siècle… La dédicace ST SATURNIN, (premier évêque de Toulouse vers 250 de notre ère), a été, par la suite, accolée au nom de Lucian. Ceci pourrait accréditer la seconde thèse avancée ;

cet ajout semble bien indiquer, en effet, une volonté de christianisation accrue en mettant le village sous la haute protection d’un saint martyr bien préférable à celle d’une idole païenne !…



Il est à noter que le bois qui entoure ce piton est appelé «Bois des Félibres»

(ou Félibriges) en hommage aux «poètes» occitans «morts pour la patrie» Un pêcher a été planté au pied de la roche gravée et d’une plaque commémorative

Les chênes (verts, kermès, pubescents) sont nettement majoritaires. Bien que le châtaignier soit présent depuis 6000 ans et cultivé depuis plus de 2000 ans, il est très peu représenté ici.

Il en est de même du hêtre (fageas)…



Sur les hauteurs, le fragon cohabite avec les buis odorants… Le thym est dans son domaine de prédilection

(On recommande de le cueillir le jour de la Sainte Croix) (Avec 400 kilos de plantes, on peut obtenir 1 Kilo d’essence dont on extrait 43 % de thymol qui est un antiseptique. Cet extrait est utilisé, en valeur infinitésimale, dans la confection de la pâte à papier des billets de banque !)…

Aux herbes, aux «simples» très nombreuses en ce lieu et si appréciées des populations locales, s’ajoutent les lavandes et lavandins. (La plante est identique mais selon qu’elle pousse dans les plaines ou sur les hauteurs, son appellation diffère.)…

La sarriette embaume en sa saison… Tant de parfums suscitent une pensée, nue et purifiée… C’est un bain véritable qui apaise les sens, qui rend le cœur étincelant…

On comprend, qu’au printemps, se retrouvent, en ce nid fourché dans le ciel et les nuages, les «farauds»: les «amoureux», lesquels ne sauraient trouver mieux pour se célébrer en leurs douces et fiévreuses étreintes…



Du sommet, la vue est magnifique. Elle s’étend vers le Larzac voisin, vers la barre des Cévennes et le Pic St Loup, vers les monts de St Guilhem, (Ancien chevalier puis moine à Aniane qui se retirera à Gellone pour y mourir en 812) vers la mer, au Sud et vers les Pyrénées, à l’Ouest (par très beau temps)…

Sur certains secteurs, on peut apercevoir des coulées et des monticules de ruffe (grès argileux fortement colorés par l’oxyde de fer)…



La trace de nombreux fossiles (d’huîtres plus particulièrement) atteste que, jadis, la mer appelée Théthis recouvrait ces territoires et ceci il y a cent cinquante millions d’années environ… (Dépôts calcaires du Jurassique).

Le Languedoc et le Roussillon possèdent une extrême variété de roches géologiques, de pierres volcaniques, qui font le bonheur des géologues… (Les roches «dolomitiques» contiennent de la dolomie issue de la transformation du calcaire pur.)…



Certaines sources anciennes font état de la présence de dolmens sur la commune…

Le village fait partie du canton de Gignac et de l’arrondissement de Lodève…

C’est une zone de pentes moyennes dites zones de piémont…

On y pratique des cultures en «terrassettes» ou «bancels» ou «faïsses» (vignes essentiellement puis oliviers, amandiers et pêchers en régression constante.) Au cœur du village se situe l’église Notre Dame du Figuier laquelle date du XIII è siècle.



Les vents du Nord, en provenance des Causses, sont les vents dominants (Terral, Tramontane). De l’Est souffle le «Grec», du grand large provient le Marin appelé aussi Ayal, de la côte survient le Mistral et le Narbonéis…



L’approvisionnement en eau est assuré par des sources dont celle de Lagamas.

Dans les anciens temps des moulins furent construits le long des ruisseaux pour moudre les grains…



Ces «préliminaires» permettent de mieux situer ce village dans le temps et dans l’espace…



Revenons à aujourd’hui. Je vous propose de m’accompagner dans une promenade à la découverte de ce terroir ; une promenade qui s’apparentera à une balade de nature «géo-poétique»…

Nous sommes début septembre et les vendanges commencent…



La vigne représente la base principale de l’activité économique laquelle s’articule autour de divers cépages: le grenache noir et vigoureux, la syrah (d’origine grecque qui produit des vins hauts en couleur à l’arôme de cassis), le carignan, le mourvedré, le cinsault, l’aramon… Certains mélanges sont à l’origine du classement en crus d’appellation contrôlée (Vins A.O.C) ou en Vins de Pays. Les adjectifs : souples, fruités, glissants, sont souvent associés à ces excellents vins de «demi-montagne»…



Un peu d’histoire (source: Le Vin, la Vigne et le Vigneron édition des Ecologistes de l’Euzière) : …«Les premières traces de vinification sont datées de 5400 à 5000 ans avant J.C…. Nos ancêtres lointains consommaient les fruits de lambrusque (une liane) ; c’est la vigne sauvage qui peut avoir jusqu’à 15 m de longueur… C’est sur Marseille que les Phocéens acclimatèrent les premiers plants «français»…

En 91 un édit oblige les Gaulois a arracher la moitié de leurs vignes, ceci pour favoriser les vins de Rome…

Les moines (excellents vignerons et œnologues) donneront à ce breuvage l’intitulé de «sang du Christ» et ce dès le XI è siècle…

Bien plus tard, en 1863, le Phylloxéra (un fléau importé d’Amérique) détruira les quatre cinquième du vignoble.

Un porte-greffe importé aussi d’Amérique et résistant au puceron dévastateur sauvera la viticulture mais introduira aussi une autre maladie: le Mildiou… Une grande crise secouera en 1907 le monde des vignerons… Les enjeux de demain se situent au niveau de la qualité de la production mondiale et des options retenues entre vin industriel et vin artisanal…

Il existe plus de 200 cépages différents (variétés de vignes cultivées)»…

La coopérative, ce matin, s’active plus qu’à l’ordinaire…

Les premiers tombereaux livrent leur chargement…

Les grappes noires et bleutés (Grenache) sont déversées et acheminées vers l’égrappoir pour la séparation de leurs grains avant le broyage de ceux-ci…

Un camion livre sur des palettes des sacs de divers composants chimiques qui participeront à l’élaboration du vin, à diverses étapes de la vinification… Il ne s’agit pas ici de vins provenant d’une «agriculture raisonnée limitant les impacts sur l’environnement et optimisant les résultats économiques» ni de l’agriculture biologique ou bio-dynamique à la recherche, toutes deux, de qualités en respectant les écosystèmes naturels…



Je quitte le village pour monter les étages de la vigne qui se perdent dans la garrigue… Le bruit des moteurs de la coopérative qui fonctionne à plein régime s’estompe peu à peu… Je longe la bordure des haies, prélève, au passage, quelques mûres (appelées doucettes)…

Je marche parmi l’ocre et la blancheur des pierres, sur une terre rousse…

Les vignes sont lourdement chargées… Au pourtour du vignoble la trace des sangliers est partout visible… Ce sont des fins connaisseurs… Au sol, gisent les reliefs de leur repas nocturne… Les vignerons se vengeront bientôt…

Ici et là, des rangées d’oliviers rompent l’uniformité de la vigne…

Je rencontre quelques pêchers très isolés…

Sur le sol, sous les chênes kermès, des coquilles d’escargot blanchissent au soleil… Je ramasse celles du zonite, à la forme spiralée et aplatie, particulièrement symbolique…

Je souhaite enchâssée cette «merveille de la nature» dans l’écorce du pin laricios venu de Corse, afin d’en faire un bijoux, un pendentif original…



La végétation alentour est couverte de baies noires, vertes, brunes, bleues, oranges et rouges que je ne peux, pour une grande part, identifier, si ce n’est le fruit du genévrier de Phénicie ou celui du genévrier cade, du genêt «scorpion» encore appelé ici «argelas»,

de l’ arbousier, du chèvrefeuille, de l’églantier, du romarin, des chênes verts (ou yeuses) et du pistachier térébinthe…

Une partie de ces baies est commestible mais beaucoup de celles-ci sont nocives et souvent très toxiques… La garrigue est une vraie pharmacopée…

Le buis a des propriétés laxatives et le thym est un tonique efficace utilisé pour les rhumes et angines (un très bon antiseptique), le genêt sert pour l’hémophilie, la ronce est dépurative, les cades (genévriers) soignent, par l’huile extraite de leur racine, les dermatoses et les salsepareilles agissent pour les problèmes d’urée, la bruyère et la mauve sont diurétiques.

Lorsque le sol n’a pas été dépouillé de ses plantes sauvages la présence des mauves, des euphorbes, du pourpier, est assez fréquente… Les branches des oliviers ploient sous les fruits verts, ce sont des Lucques à la forme caractéristique…

Mais pour les olives comme pour les arbouses, rien ne presse!…



Quelques mûriers épars rappellent les grandes heures de l’élevage du vers à soie (Bombix mori ; insecte délicat s’il en est qui demandait une grande attention et de grands soins mais qui, pour le sericiculteur ou magnagnier, rapportait «gros» pour un temps d’élevage très réduit)…



Dans cette promenade très bucolique, je ne ferais pas la rencontre du lézard vert ocellé, du circaète Jean le Blanc (un rapace friand de serpent dont la fameuse couleuvre de Montpellier)…

Je ne verrais ni capitelles, (abri de pierres encorbellées), ni citron provencale, lequel est un magnifique papilionacé jaune et orange… Je ne débusquerais ni renard, ni sanglier, ni fouine, ni belette…

On ne rencontre pas un scorpion sans quelques réactions de peur… Je ferais, en mon séjour, la découverte de deux spécimens, l’un de couleur jaune (Dans le cirque de Mourèze près du lac du Salagou) et l’autre marron foncé (dans l’évier de la cuisine !)…

Ceux-ci sont totalement inoffensifs… Ouf !…

Il existe une autre espèce appelé scorpion du Languedoc (Buthus Occitanus) de couleur jaune également et dont la piqûre serait très douloureuse mais non mortelle…



Les seules cardabelles (carlines)(chardons) rencontrées, seront celles clouées sur les vieilles portes des granges du village.

Ce magnifique chardon dont la fleur, à maturation, est assimilé à un soleil, est considéré comme un talisman soit, pour les esprits quelques peu supertistieux, une protection efficace contre les mauvais esprits et les forces obscures…



Dans la remontée, des effluves de figuiers, caressent mes narines. C’est un parfum fort mais très agréable…

Les fruits sont à maturité et leur couleur violacée ou leur enflure extrême, selon la variété, attirent les guêpes, papillons et autres insectes ainsi que de nombreux oiseaux…

Je fais une collecte de fruits sélectionnés car leur transport est assez délicat…

Dans un fourré épais je découvre un pêcher de vigne étouffé par l’assaut répété des clématites et des salsepareilles (liserons piquants)…

L’arbre, malgré sa mort future, à trouver la force de porter quelques fruits que je recueille «pieusement»…

Question «écologie» et «protection de l’environnement» il y aurait beaucoup à dire !…

J’ignore comment recycler les cartouches de fusil, je pourrais en remplir de gros sacs poubelle !

La nature en voit ici de toutes les couleurs!…

Le plus lointain passé se conjoint aux pratiques les plus récentes… En effet, des huîtres fossilisées côtoient, par endroits, celles consommées par les viticulteurs, leurs famille et amis, lors des sorties dominicales bien arrosées…

La présence de l’homme en Languedoc-Roussillon est attestée depuis 700 000 ans…

L’huître existait déjà mais, hélas, pas le vin blanc !…



Pour favoriser l’irrigation les fossés sont entretenus régulièrement…. La couleur de leur lit, vert-de-gris ou verdâtre, dénonce l’emploi abusif de pesticide…

Des pierres, percées sur toute leur surface révèlent, la présence ancienne de l’habitacle de coquillages dissous par les siècles… Quelques millénaires là dans mes mains…

Une émotion certaine… Une cigale, une seule, emplit les lieux de ses stridulations incessantes… Elle est là posée sur l’écorce d’un chêne pubescent… Ma présence décelée interrompt son chant… Les sangliers ont la peau dure, la garrigue est leur repaire et les vignes leur garde-manger…

Ils sont, certes, omnivores, mais ils savent eux aussi apprécier les cépages de qualité !…

Les grives partagent leur engouement pour ce goût sucré et parfumé…



Ces terres ne sont pas trop gélives mais craignent les vents du Sud-Est (le Marin) et, venue de l’Ouest, la Tramontane sans oublier les remontées du Mistral (lou vènt-terrau, en langue provencale) par la vallée du Rhône dont le souffle, selon une tradition bien attestée et vérifiée, peut sévir pendant trois, six ou neuf jours d’affilé…

A cela s’ajoutent des orages et des averses qui sévissent au printemps et au début de l’automne… Il me faut rentrer…

Les anciens qui discutent sur le banc de la place me regardent passer... Sont-ils de ces derniers «farandoleurs» qui, jadis, animaient joyeusement les fins de vendanges?…



A la tombée du soir, la façade de la maison accueillera une mante religieuse et des papillons de nuit attirés par le réverbère… Sur le seuil même de la maison deux grillons

se donneront rendez-vous… Après une bonne douche, je me repose en compagnie d’un ouvrage sur la langue provençale…

Il va être l’heure d’aider au repas et de dire à ceux que l’on aime qu’on les aime avec les gestes et les silences qui sont, parfois, plus que des mots!…

(Bien qu’il faille aussi user des mots!)…



13/07/2015
0 Poster un commentaire