Carnet de voyage MARTINIQUE II janvier 2015 Bran du
Antilia : une île qui en fait n'existe pas si ce n'est en tant qu'archipel avec des noms différenciés...
Pour ce qui me concerne, je retiendrai le nom de Martinique et son surnom "d'île aux fleurs" (faisant dignement concurrence à notre île costarmoricaine de Bréhat !)...
Aimé Césaire, l'écrivain poète et maire de Fort de France nous dit de celle ci : "c'est l'île aux arbres."...
On ne saurait mieux dire en effet du fait d'une végétation luxuriante et profuse en ces formes, parfum, fruit et senteur...
Ses coordonnés géographiques sont celles-ci : 14° N 61°W...
Un lourd passé certes, avec le règne douloureux de l'esclavagisme et le terrible asservissement maintenu à coups de sévices immondes et inhumains...
Mais, qu'en est-il aujourd'hui ?
Patrick Chamoiseau (prix Goncourt en 1992 pour son livre Taxico) nous dit ceci : "...Naît une dynamique identitaire composite où la question de la "réparation" se pose, hors pathos, et culpabilisation...
Il faut mettre fin à une mésestime collective"...
Les Martiniquais ont constaté dans les faits leur perte absolue d'autonomie alimentaire et énergétique et leur extrême dépendance vis à vis des métropolitains (les « métros ») ... (Plus de 80% de produits, de denrées, de marchandises, importés)...
"Une aliénation demeure qui touche le monde entier qui nous a transformé en consommateurs avec le pouvoir d'achat comme alpha et oméga du bien-vivre. "ibid
Vient un temps où on mettra aux oubliettes la nonchalance supposée des îliens et leur peu d'appétence pour la culture. Un baume se déposera sur la "blesse" ; cette plaie interne aux Antillais...
C'est une île en voie de réconciliation après la grande crise sociale, économique, et culturelle de 2009. Il y a une aspiration réelle et récente d'un "mieux-vivre ensemble". Reste à faire de sorte que l'on ne dise plus de la Martinique que c'est : le pays où tout est plus cher qu'ailleurs...
Il s'agit aussi de se réconcilier avec le vaste patrimoine naturel et local car : " l'histoire nous a lavé le cerveau et détourné de notre terre nourricière"(Henri Joseph)
La Martinique est confrontée à deux maladies ( les maladies cardio-vasculaire et le diabète) du fait d'une alimentation inadaptée à la physiologie antillaise... Elles sont trois fois supérieures qu'en Métropole ! Il est urgent de "consommer en fonction de son identité." et de se "nourrir localement" d'où la relance des potagers et jardins partagés, la création des AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne), mais aussi les marchés "Bio" et les foires "Bio"...
La Martinique est une "pharmacie" à ciel ouvert et possède de très nombreuses plantes médicinales que connaissent les "docteurs-feuille" spécialistes des "simples"...
"A la Martinique, j'ai été capable d'être moi-même" (P. Gauguin)...
Après la "crise", bien des Antillais sont retournés à leur jardin délaissé jusqu'alors pour créer des potagers et se fournir en fruits et légumes de qualité. Les petites boutiques de proximité "les lolos" reviennent rendre un service apprécié de dépannage.
Réduire la dépendance et les dépenses est oeuvre de sagesse et d'intelligence...
Avec 75 variétés de fruits et de légumes, la corbeille à provisions est des plus riches et des plus larges...
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On peut citer à ce titre :
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L'igname : une tige grimpante au goût de pomme de terre, qui est urticante quand on l'épluche.
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La grosse racine du manioc.
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La christophine : un légume délicat, somptueux en gratin.
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La patate douce.
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Le fruit de l'arbre à pain
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La carambole : fruit en forme d'étoile.
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Le giromon
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Les gombos (gros piments) et bien d'autres encore...
Sans omettre l'emploi abondant de la morue amener par les pêcheurs bretons.
En ce qui concerne les poissons tropicaux. Ceux-ci sont nombreux mais, en majorité immangeables.. .
Je ne résiste pas à vous donner quelques noms assez "poétiques" de quelque uns d'entre eux : le capitaine, le sarde, l'ange français, le perroquet, le mombin, le papillon pyjama, la girelle tête bleue, la demoiselle queue jaune, le barracuda, le baliste cabri, l'ange caraïbe, la murène noire, le chirurgien bleu...)
Sont consommés : le thon ou bonite, les marlins, les espadons, les dorades...
Attention : ne pas se nourrir de poissons qui se nourrissent eux-mêmes
de coraux toxiques !
La gastronomie antillaise et martiniquaise ont obtenu leurs galons :
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Avec les touloulous ou matoutous (selon la saison) nourris de mangues et de bananes.
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Le colombo (curry de poulet ou de cabri).
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Le blaffs (poissons macérés) accompagné ou non de sauce "chien" : (c'est une vinaigrette au jus de citron aromatisée d'oignons-pays + ail + persil).
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La soupe z'habitants (herbes et légumes du pays).
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Le calalou (herbes + gombos + porc + riz blanc).
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La chiquetaille de morue et les acras.
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Les fameux boudins créoles.
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Les oreilles de porc.
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Le "féroce" (purée d'avocats + piments + morue hachée + farine de manioc).
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Le velouté de christophine.
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Les petits pâtés chauds.
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Les crabes farcis.
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Les beignets.
En dessert :
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le blanc-manger (noix de coco, lait aromatisé vanille + cannelle, + noix de muscade).
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Le flan de coco.
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Le coeur d'amour.
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La montagne blanche...
Recommandation : le lait a pour vertu d'apaiser la douleur occasionnée sur les nerfs par les piments.
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La "Canne" :
Comment ne pas parler de l'industrie et de l'exploitation de la canne à sucre, elle-même a l'origine d'une cruelle exploitation de l'homme par l'homme ?
La canne a été concurrencée par la betterave à sucre et a connu de ce fait un fort déclin entraînant de lourdes conséquences sociales et économiques. Elle manque aujourd'hui d'esprit de compétitivité. Sur 180 distilleries il en reste que 7 en activité.
Il y a 12 variétés de canne à sucre utilisées sur les 170 existantes (ceci pour obtenir le label A.O.C : Appellation d'Origine Contrôlée.)...
La Banane :
La 2ème ressource est la banane, elle-même en concurrence dans tout l'arc Antillais. Il y a la banane fruit, la banane légume et le bananier d'ornement.
La "ti nain" est l'une des meilleurs bananes produites sur l'île.
D'autres ont des noms très évocateurs :
"Dieu m'en garde" , "Passe encore", "Rhabillez-vous jeune homme".
Cette production fournit environ 10000 emplois actuellement...
Pollution majeure :
Pour lutter contre le charançon du bananier, un pesticide : le "Chlordecone" vendu aux U.S.A à été importé en quantité. Les Etats-Unis ont abandonné rapidement ce produit qui se montre cancérigène, mais ils ont continué de l'exporter aux Antilles ! La pollution concerne la moitié du parcellaire Antillais, les eaux et rivières du littoral soit un immense territoire durablement pollué !...
La culture de l'ananas est de plus en plus réduite car le fruit demande 2 années pour son mûrissement ; la banane ne demande que 9 mois !
Pour ce qui est de l'emploi aujourd'hui, il faut noter un contingent de 25 % de chômeurs dont 50 % ont moins de 30 ans. Beaucoup partent en métropole pour trouver du travail et, selon l'expression locale, "enjambent l'eau"...
2 productions : l'une industrielle, l'autre agricole (sans commune comparaison de qualité entre la 1ère et la seconde).
Le rhum agricole (ou rhum habitant) est le produit d'un pur jus de canne qui ne se conserve pas contrairement au jus de mélasse utilisé en production industrielle.
Du Rhum :
(65% du rhum produit est bu sur place...)
Boire un "p'tit coup" suppose que celui-ci enflamme le palais pour une longue durée. Il se prend le matin dans un petit verre.
Il est appelé : "le décollage ou la mise à feu".
Il sera suivi à 17h par "le p'tit pape". Entre temps, le ti punch sera servi aux amis sous la véranda.
Pour les "dur à cuire" il y aura "le tafia" (le ratafia des marins) qui est un vrai tord-boyaux, qui résulte de la distillation de la mélasse (résidu broyé de la canne) teintée de caramel.
Sera proposée également l'eau de vie et de mort appelée "guildive" appréciée des boucaniers, flibustiers et autres corsaires.
Un cocktail à la mode : le C.R.S à base de Citrons Rhum et de Sucre (sucre ou sirop de canne en fond de verre + "presse-lâcher" de citrons verts + lampée de rhum blanc).
Autres mélanges : le pina-colada (ananas et crème de coco)
le corossol (mangue et maracuja + fruits de la passion + prune de cythère).
Pour plus de douceur les planteurs comme par exemple les Daïquiris (au citron vert).
Pour les connaisseurs : toute la gamme des rhums plus ou moins vieux (rhum blanc, rhum paille et vieux rhum avec vieillissement en fût de chêne).
On peut ajouter à cette liste la bière locale : la "Lorraine" et la "Guiness" irlandaise. Une fraîcheur bienvenue et désaltérante quand le soleil donne à pleins rayons...
Il est dit que les Martiniquais "ont la bouche en sucre" d'où de nombreux desserts et de nombreuses friandises.
Les dangers de l'île :
Bien des dangers guettent les îliens : au nombre de ceux-ci :
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Le scolopendre ou mille-pattes dont la morsure est vénéneuse et très douloureuse. (Attention les jours de pluie !)
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Le serpent trigonocéphale ou "fer de lance", de couleur jaune et pouvant atteindre deux mètres de long, a occasionné beaucoup de décès dans les plantations (on disait qu'il têtait les coqs pendant la nuit) ainsi qu'une autre variété de vipères bien plus petite (d'où l'introduction de la mangouste en tant que prédateur de ces espèces).
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Le mancelinier : un arbre dont tous les composants sont toxiques et occasionnent de graves brûlures. Il est fortement recommandé de ne pas s'abriter en cas de pluie sous cet arbre qui porte sur son tronc bien souvent une marque de peinture rouge d'avertissement.
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Certains coraux sont également toxiques...
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Les piqûres de méduses ou d'oursins.
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Certains moustiques : les uns piquant le jour, les autres la nuit.
Une immense corbeille de fruits :
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La goyave (fruit rose).
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La papaye.
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Le maracuja (fruit jaune).
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La cerise ou l'abricot "pays".
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La noix de coco.
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Et plus récemment les melons, et les oranges et mandarines "décevants en terme de goût"...
De la faune sauvage
Il faut déplorer la disparition des lamentins "phoques ou vaches d'eau douce" qui ont été décimés. Il reste peu par ailleurs de perroquets des cimes.
Parmi les animaux domestiques :
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Coqs, poules, cabris et la vache martiniquaise appelée "vache brahmane" (zébu indien)
(Après l'abolition de l'esclavage, il a été fait appel à la main d'oeuvre indienne, une culture à l'origine de divers apports sur l'île.)
"Je suis né dans un paradis raté." Aimé Césaire
A l'origine se sont des amérindiens qui peuplèrent ces îles (comme les Saladoïdes venus du Vénézuela, des vallées de l'Orénoque au IVè siècle)... Leur succèdent les Arawaks (toujours du Venezuela) ; les constructeurs des "carbets" (cabanes ou cases)...
Au IXè siècle arrivent les Caraïbes (guerriers anthropophages venues d'Amazonie). Ils disparaîtront peu à peu après l'arrivée des espagnols puis des colons français au XVIIè siècle...
Christophe Colomb débarque en 1502 devant ce qui deviendra la ville de St Pierre.... L'esclavagisme est installé sur l'île...
(Les "Caraïbes" portaient à leur oreille un anneau en or pour payer leurs obsèques en cas de mort. L'anneau était aussi réputé pour préserver de la noyade lors de la traversée et pour améliorer la vue)...
Les racines africaines des Antilles :
Ce sont des africains arrachés de force à leur pays (Guinée, Haut Dahomey, Sénégal...) qui ont constitué le principal contingent des esclaves Martiniquais...
Cette provenance explique les "racines africaines" de l'île.
Aimé Cesaire vantera cette "négritude" alors qu'Edouard Glissant appellera à une forme d'autonomie des Antilles... Deux grands poètes à l'oeuvre pour restituer aux Antillais leur "Dignité"...
On estime à plus de 20 millions le nombre d'esclaves acheminés comme du bétail sur les lieux "d'exploitation" (avec un taux de mortalité très élevé.)...
Fruit de la Passion
Malgré l'abolition de l'esclavage survenue au cours de la Révolution française, (votée par la Convention en 1793), le général Bonaparte, pour plaire à son épouse Joséphine de Beauharnais, Antillaise de naissance, fait rétablir l'esclavagisme et envoi en 1802 un contingent armé à cet effet dirigé par le général Richepance...
Des Martiniquais refusant de se soumettre à cela se rebellent sous la conduite de Louis Delgrès lequel se fera sauter le 28 mai 1802 avec ses compagnes et compagnons au Matouba (dans la « bitation » d'Anglemont) qui est une poudrière où ils avaient trouvé refuge, plutôt que de se rendre....
Les quelques survivants seront exposés au bout de leur potence au Constantin (une colline proche) et laissés en spectacle pour dompter d'autres tentatives de rébellion et servir d'exemple...
Il semblerait bien que la statue de Joséphine ait perdu sa tête à la suite de cela !...
Des lieux magiques :
Le Jardin de Balata et, non loin de là, près de la colline ( norme) du Cardet, le P.N.R (Parc Naturel Régional) ; soit deux écrins floraux....
Le Jardin de Balata (Une "perle" des Antilles ; le jardin "créole" par excellence), regroupe une collection assez conséquente de cocotiers, palmiers, manguiers...
Aimé Cesaire par Luc Kabile peintre et portraitiste
L'inventaire indique plus de 1700 espèces de fleurs qui prolifèrent sur un sol volcanique...
Nous ne sommes pas loin en effet de la Montagne Pelée qui en 1902 fit 30 000 victimes dans la ville de St Pierre...
On y trouve aussi l'arbre à pain qui fut une nourriture précieuse pour les esclaves...
Le Courbaril à feuilles doubles ; symbole de la solidarité pour Aimé Cesaire...
Trône en bonne place en ces lieux l'Arbre des voyageurs : le Ravenala dont les palmes retenaient en leur creux l'eau de pluie salvatrice...
Le Montogro ou "Arbre fromager" au tronc et haute racine parsemé de grosses épines...
(Les jeteurs de sort ramassaient et replantaient, après "traitement" et invocation, l'épine dans le tronc afin qu'elle produise l'effet souhaité contre la personne objet de ce rite maléfique !)
Le Mahogany ou Acajou qui peut dépasser 45 m de hauteur...
Le Cycas ou Ficus étrangleur qui prend appui sur un arbre puis l'enserre peu à peu jusqu'à l'étouffer...
On y trouve une collection de fougères arborescentes (plantes pionnière dans le monde végétal). L'espèce conte plus de 200 variétés...
mais aussi les balisiers, les anthuriums, l'alpinia purpurata, la "rose de porcelaine", l'hibiscus ou rose de Chine; la queue de chat, l'héliconia et un florilège de feuilles et de pétales...
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Petit conte antillais Bran du Janvier 2015
Entre compère Krapo et compère Lapin....
....................To to to !.................... J'arrive !....
TAK, PITAK, PITAK, TAK, PITAK, PITAK, TAK......
Le tambour commence le conte (Tambou) ......
Yééééé, yééééé, KRIK
Yééééé, yééééé, KRAK
Me dam ze mésié Mesdames et Messieurs
Mwen kay raconté zot Je vais vous raconter
An ti zistwa Une petite histoire
Sa ou sav ou sav Ce que tu sais, tu le sais
Pawol an nonn vo nonn La parole de l'homme vaut l'homme
Wonz pas si, wonz pa la Les dès vont par ici ou par là
Lé soley ka chofé y ka bré lanme zié Le soleil chauffe
Il boit les larmes des yeux
Mwen ka dizot Moi, je vous dis
Fouté ri até Eclatez de rire
La vi pa fini La vie n'est pas finie !
Fok pa zot blié Faut pas oublier
Le gwo ka an vi Le tambour de la vie
Misik-la La musique
Jenn bray jenn icha Jeunes gens, jeunes filles
Vini wé le tambouyé Venez voir le tambourinaire
Lévé doubout vit Levez-vous vite
Poo kompé krapo Pour compère crapaud
Pou le badjolé Pour le blagueur (le palabreur)
Pou li band an afé Pour l'assemblée de la terre
Mési mési mési Merci, merci, merci
Mwen ka dizot Moi, je vous dis
Vi pa fini La vie n'est pas finie
Yééééé, yééééé, KRIK
Yééééé, yééééé, KRAK
et KRIK et KRAK
Le conte est fini...
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