DEUX TEXTES EN HOMMAGE A JEAN GIONO BRAN DU 23 08 AOUT
Hommage à Jean GIONO Bran du
(En veille de la Lugnasad de 2003)
Texte complété et revisité en 2018
"...Il prenait l'eau dans sa main et faisait de ses deux paumes une vasque d'offrande...
(Nul poing fermé ne sautait contraindre l'eau qu'elle contient à demeurer !)...
Il prenait une branche d'osier et une autre de sapin ou de pommier de même grosseur : Sous la même pression exercée,l'une pliait, l'autre rompait... (Notre souplesse vaut mieux que notre rigidité disait-il alors.)...
Puis, il prenait une flûte et jouait un air sur celle-ci.
Toutefois et bien qu'il dansait et exprimait de merveilleuses sensations et vibrations, aucun, son ne sortait de l'embout de roseau...
(Le chant est dans le silence de la maison du cœur, si le cœur danse, danse toute la maison, valse toute la demeure... à l'unisson.)...
Il ne portait pas la gourde ruisselante d'eau fraîche à ses lèvres, non, il ne buvait pas, mais il répandait sur la poitrine asséchée de la Mère des paroles claires et limpides qui abreuvaient et fécondaient tout entendement...
Il tressait une natte avec des mèches de ses cheveux, liant, avec minutie, dextérité et précision, un brin avec l'autre. Il souriait d'un vif contentement à chaque entrecroisement réalisé comme s'il concélébraient en cette progression des noces entre ce qui fût, est et devient...
Le temps lors se trouvait lié à son histoire d'homme et nul vent rageur ne saurait en défaire l'indomptable tresse...
Il trempait le bout de ses doigts dans de l'argile rousse puis dessinait sur son visage des lignes serpentines qui épousaient les contours de son regard amoureux ; celui qu'il portait sur les circonvolutions du monde, l'oscillation des jours et des nuits, sur les méandres du fleuve de l'existence et sur les entrelacs que la pensée tisse entre les rives du rêve et de la réalité...
Debout, au sommet de la colline, torse et pieds nus, cheveux et tresse au vent, le sang apaisé, il donnait la becquée aux étoiles du songe, aux constellations du vivant ; becquée de mots et de silence, miettes d'amour pour l'absence et la présence, pour la solitude et le partage, pour l'éloignement et la rencontre et tout cela nourrissait la chair de l'instant comme une outre qui se gonfle des rivières du printemps...
Il n'était qu'un homme
Portant cape de garrigue
et faisant feu de ses mains ;
Qu'un arbre d'homme mobile et émouvant...
Qu'une vague roulée parmi les flots de l'océan...
Qu'une branche heureuse de l'accomplissement de ses fruits...
(Avec, en chaque fruit, la promesse des semences.)...
Il n'était qu'un peu de ce sang qui irrigue les berceaux et les tombes...
Ses mots mêmes n'étaient que sèves et résines avec un peu de neige sur l'écorché de ses hivers...
Ce n'était qu'un peu de ce parfum de lavande qui embaume le rêve des jeunes filles ; qu'un peu de ce cuivre roux sur lequel les heures chantonnent une ronde, une berceuse pour la Vie.....
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Rencontre d'un sacré type...
Bran du 1985 (Revue l'Île)
Préambule :
Cette rencontre est une rencontre imaginaire entre les personnages de Jean le Bleu (créés par Giono) et moi-même. Les dialogues extraits de ce merveilleux ouvrage sont volontairement séparés de leur contexte d'origine et s'efforcent, néanmoins de respecter la pensée de l'auteur.
« Toute la garrigue respirait dans le vaste poumon de la nuit ; les cigales orchestraient le rythme du temps et la Durance, alors invisible et secrète, roulait, larme contre larme, sur les pierres blanches, éparses, éclatées comme des étoiles terrestres...
Nous étions deux, assis autour du feu, tous deux enveloppés d'une longue et épaisse cape de berger. La brassée de bois sec et de genêts nous entourait et prodiguait un halo de généreuse chaleur et de dansante lumière...
Il se dégageait de l'endroit comme un sentiment de communion intime entre l'homme et tous les éléments... Homme et lieu étaient « accordés » et ne faisaient plus qu'une seule et même corde tendue entre la terre et le ciel...
Les lèvres de « Bouche d'or » s'ouvrirent et des mots tendres ou douloureux parfois sortaient de ce four de chair et de sang comme sort le poème après une fournée d'eau et de feu...
« - Fils, dit-il : Il faut être plein de pardon. Il faut avoir dans le corps plus de pardon que de sang. Si, quand tu seras un homme, tu connais ces deux choses : la poésie et la science d'éteindre les plaies, alors tu seras un « Homme ».
Certains hommes font l'amour avec du pétrole et des phosphates, des choses sans hanches, ça leur donne envie de sang.
On peut aller dans la lune, cela ne changera rien, le bonheur des hommes et dans les petites vallées...
Ce n'est pas difficile de vivre seul, fils, le difficile, c'est de souffrir seul..
Si on a l'humilité de faire appel à l'instinct, à l'élémentaire, il y a dans la sensualité une sorte d'allégresse cosmique...
J'entendis le chant d'une flûte, c'était un air tristement allègre.
Le jeu du flûtiste était d'une rectitude implacable.
On sentait que cette musique, avant de la faire sortir de lui, il l'avait longtemps gardée dans sa tête comme un serpent enroulé.
A côté de la flûte, marchait un violon sombre. Ils s'en allaient tous les deux sur une longue route montante. Ils avaient la lente allure de ceux qui vont très loin. Alors, dans le lointain, la flûte s'élança, et comme ce serpent qui, debout dans l'herbe construit avec la joie ou la colère les fugitives figures de son désir, elle dessina le corps de ce bonheur dédaigneux qui habite la tête libre des parias.
- Il te faut regarder tout cela me dit-il et te faire ton idée toi-même comme j'ai fait, comme on doit faire.»
Il m'en dit tant et tant qu'à la faim le feu s'était tout allumé en lui et que j'en étais devenu humain comme un gros pain rond.
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