Du Haïku ou l'art de photographier avec des mots (suite) Bran du mai 2014
Du Haiku (à l'Occidental) Bran du 20 05 2014
Photographies Bran du Ile de Batz mai 2014
"L'homme ne vit que fort peu dans l'instant même". P Valery
Le dictionnaire fait état du terme Haïkaï pour définir un poème classique japonnais de trois vers..
Une poésie de "l'instant" (durée très courte que la conscience saisit comme un tout)...(Du moment présent)... (De l'immédiateté...).... C'est là, présent, offert, ici et maintenant et nulle part ailleurs...
Transcrire fidèlement l'image récoltée par la vue, par le regard et ce que ceux-ci transmettent au cerveau afin que ce dernier opère un ouvrage, un classement ou une évacuation de la manne de données ainsi collectée...
On dit du haïku qu'il est art de photographier la vie avec quelques mots... Photographie a pour racine un élément du grec "Phôs" qui signifie Lumière... Photographier imprime durablement une image dans la mémoire...
Réaliser des haïkus pourrait consister à introduire des espaces ou des fragments de "lumière" dans l'obscurité épaisse et sombre de la conscience, voire de l'inconscience ; une lumière qui fasse souvenance de son passage sur une chose, un objet, un paysage, un être, une situation...
Le mot (chacun des sons ou groupe de sons correspondant à un sens dans le langage...) peut se comprendre comme une parole exprimant une pensée de façon concise et frappante...
Les mots du haiku ne font pas de théâtre ni de mises en scènes, ils sont le théâtre même de la vie, la mise en scène permanente de celle-ci...
Ils sont l'écho fidèle de ce que la montagne exprime d'elle-même...
leur ruissellement dans le flux de l'instant ne cesse de chanter la rivière qui conduit ses eaux vers l'océan...
Trois lignes d'écriture pour donner à percevoir plus qu'à voir un fragment, un parcellaire de vie, un éclat de jour ou de nuit, une étincelle d'existence, un mouvement de l'air, une danse de formes, un geste faisant acte d'une présence au monde, une ombre dans la lumière, de la lumière dans l'ombre, un envol, un élan, une retenue, une pause, un repos, un effort, une volonté, un désir...
Trois lignes pour accompagner de sa vision, de sa conscience, les milles ouvrages du quotidien ; les plus singuliers, les plus spécifiques, les plus habituels, les plus "ordinaires" ; tout cela qui "meuble" une "maison de vie", une "saison de vie"...
... Trois lignes, pas une de plus, pour faire "commerce" avec les images du monde, avec l'Anima de toute chose, pour faire l'économie du superflu et se nourrir les yeux, l'intelligence, le coeur, de l'essentiel et de l'élémentaire...
Un exercice pour accroître notre qualité de regard, pour développer une acuité visuelle, une attention sur tout ce qui nous entoure, nous percute, nous enveloppe, nous touche, tout simplement à sa façon, à sa manière...
Un exercice pour combler un déficit grandissant : la perte d'attention, l'incapacité, au sein de nos précipitations et agitations, à être témoin des mouvances existentielles, à observer le signifiant et le signifié de ce qui anime les êtres et les règnes et tous les mondes naturels...
Etre de cela qui "est", symbiotiquement, analogiquement, compassionellement, admirativement, tendrement, avec émotion et avec tous les sens activés pour voir, entendre, comprendre, englober, distinguer, le jeu multiple et varié des expressions et formulations émises par tous les acteurs et actrices de la vie qui s'offre et se donne à notre regard et à son meilleur emploi et usage...
Prendre notes de la musique de l'univers, de tout ce qui constitue la partition du vivre et être de cet accord, de cet entendement, qui nous fait résonner en connivence...
Il y a un vif bonheur à voir, à avoir vu, à se sentir "bénéficiaire" de l'octroie d'une "image du monde et des mondes" qui passe trop souvent inaperçue en nos courses folles vers notre échéance inéluctable... Et le véritable bonheur ne peut que se partager !...
Capter le "vif de l'instant" , être cet enfant qui ramasse des feuilles-mortes, être la feuille morte qui dévale le ruisseau, le ruisseau qui contourne tout obstacle, l'obstacle qui fait front à ce qui ruisselle,
ruisseler avec les mots, avec les sens vers un océan intime et profond de compréhension...
L'attention pour apaiser voir guérir la tension qui nous encombre le corps physique, émotionnel et mental... Se mettre en retrait, se soustraire à l'agitation, aux gesticulations et se poser sur la margelle du monde, sur le seuil de la fontaine de vie...
Et faire le simple exercice qui consiste à regarder la valse des couleurs et des formes, à écouter les bruissements du monde, à sentir les parfums qui émanent des calices de beauté....
Etre "naturellement" le "familier" de la splendeur !...
Quelques règles, mais contournables pour donner un peu d'agencement, de souple structure à cela...
Eviter l'emploi excessif des métaphores ou comparaisons... (Ne pas vouloir absolument expliciter, surajouter...)
Glisser ici et là et de façon opportune un "mot de saison"...
Alléger, élaguer, désencombrer, autant que possible.... (Le haiku est un galet que l'on fait tourner dans sa paume et qui épouse celle-ci...)
Le libre écoulement et le souple ruissellement sont recommandés...
De même, laisser "libre cours", ne pas contraindre les mots, les compresser, les "engoncer", les "forcer" à prendre place...
Ne pas vouloir "rimer" à tout prix, la prose s'impose et se répand comme une vague sur la grève...
Laisser les mots parler d'eux-mêmes, ne pas les "faire parler" ou parler à leur place...
Eviter l'usage du "je" ou du "nous", de trop personnaliser le poème...
L'impersonnel est d'un meilleur emploi...
Ne pas "définir", mais suggérer, évoquer sans insistance, faire entrevoir plutôt que de "disséquer"...
Suggérer et non définir...
Laisser au lecteur le soin de se "représenter" ce qui est décrit, de s'accaparer cette vision, de la prolonger, de la faire rejaillir en lui selon ses propres critères de perception et d'imagination...
Ni commentaire, ni explication, mais la vision nue et brute du "vif de l'instant"...
Respirer avec le haïku, avec sa représentation...
Donner "vie" à l'objet, au sujet...
Donner à voir le mobile et l'immobile...
"A l'heure du thé
Propos échangés entre maître et disciple...
La tasse écoute..." Bran du
Tout doit pouvoir passer (humour, érotisme, pamphlet, calembour, grivoiserie...) mais respecter "l'invariant pour mille ans, le fluant dans l'instant." (Bascho) (La permanence dans l'impermanence...)
- Une formulation "lyrique" , poétique, est préconisée...
- Coller à ses impressions, émotions et sensations... (Précision rigoureuse...)...
- Ne pas avoir peur de faire des"mauvais haïkus" cela fait partie de l'apprentissage... Ne pas hésiter pour l'apprentissage à pasticher les grands auteurs de haïkus... A donner la tournure de...
Notre vie est un atelier...Nous en sommes l'apprenti... Parmi nos outils : le haïku...
- La troisième ligne peut faire césure avec les deux premières...
- La règle des 5/7/5 syllabes employée au Japon n'est pas "obligatoire"...
- Usage de l'allusion (élider et suggérer)(ne pas tout dire...)
- User et abuser des interjections (Ho ! Ha !), des interrogations, de l'exclamation et de la suspension...
- Conjoindre faits, situations, micro-événements... Rester dans le constat, user peu du jugement...
- En préambule : Une manière parmi d'autres : Thème et prédicat...
Thème : ce dont il s'agit et qu'il est question...
Prédicat : ce qu'on en dit... (Trame et fils de chaînes...)
C'est une "science" du détail où le microcosme rejoint le macrocosme...
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Haïku insulaires Bran du Mai 2014 Ile de Batz
Impressions de l'île de Batz : Bran du Mai 2014
1 / Plus personne ne se courbe
Au son de l'angélus...
L'herbe et la feuille peut-être...
2 / Des filets pour la pêche ?
Non, pour les carottes ;
A cause des lapins !
3 / L'escargot hissé
Au sommet de la coulemelle
Se passe de parapluie !...
4 / Le papillon,
Qui hésite trop à se poser,
Voit la fleur... se refermer !...
5 / Au sémaphore, les jeunes garennes
- En toute quiétude -
Broutent l'herbe de l'enceinte militaire...
6 / Clocher et phare ont fort à faire,
Chacun à sa manière,
Dans un monde qui s'égare et se perd...
7 / Un nuage pour casquette,
Mon rêve
Embarque pour les îles...
8 / C'est la sérénité
Parmi les plants de pommes de terre :
Pas de doryphores !
9 / Ca butine fort...
Le peuple des petites ailes
Assaille le pittosporum...
10 / L'épagneul breton ;
Le museau sur le sol,
S'ennuie en l'absence des chats...
11 / Sur la pierre du calvaire
Dort, réchauffé,
Le vieux chat pelé !...
12 / De bleu en bleu,
De maison en maison...
- Ceanothe "tour" ! -...
13 / Trop âgé,
Le chien accompagne son maître
Dans la benne du tracteur...
14 / Le cimetière, l'été,
Ferme au crépuscule
Quand le soleil se meurt !...
15 / Les grands-mères sur le banc
Discutent du va et vient incessant
Des marées du temps...
16 / Les arums, à plein calice,
Boivent l'eau pure
De la "Vierge de Mai"...
17 / Les arums, impudiques,
Exibent leur verge d'or
Aux filles de l'Aurore...
18 / Le ciel, ici, plus large, plus grand
Avec la cohorte bigarrée des nuages
Qui escortent les vents jusqu'aux abîmes du silence...
19 / Bruno, c'est la figure locale
Qui paie un coup en espérant en tirer un
C'est un corsaire sans butin qui chaloupe de verre en verre...
20 / La lune, très pâle, après une nuit de veille
Disparaît en cette aube de mai
Dans le bleu naissant du matin...
21 / Aux champs verts de la plaine de mai
S'ouvre la neige et le coeur d'or des marguerites...
Cela m'invite à faire éclore au jardin de mon corps
Une joie qui lors me visite comme une abeille de lumière
S'enivrant du miel de l'instant...
22 / Au coeur de l'île règne un cyclope à l'oeil de verre qui scrute tout l'horizon alentour...
Il ne dévore que des informations maritimes qu'il engloutit dans son ventre d'ordinateur...
C'est un bon "géant" rassurant que ce sémaphore !...
23 / Villégiature de mai :
Des couples de tadornes
Visitent les anses calmes de l'île...
24 / Sous la route des étoiles
Un cheval à l'attache...
La nuit aussi en moi...
25 / Les tadornes, par couples
S'affrontent tête baissée...
Problème de territoire ?...
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Autres haïkus :
1 / L'hirondelle,
virant de bord,
A rater son calligramme... Gilbert
1 Bis / L'hirondelle
A plus belle enluminure
Que celle du moine dans son scriptorium.
2 / Plus haut que le phare,
Hormis les nuages
Il n'y a que la mouette... Gilbert
3 / Le phare de Batz
198 marches
Mais quelle vue ! Gilbert
4 / La coupe se remplit
De l'écoulement des nuits et de jours
Mais demeure la coupe... Bran du
5 / Le lit du ruisseau
L'eau l'épouse
Jamais la même... Bran du
6 / Le goéland survole l'étang...
Pour se dessaler
Ou manger un caneton ? Bran du
7 / Le mur ne sait s'il faut ou non
Interdire d'interdire
Mais, 68 ! Bran du
8 / De fleur en fleur,
De suc en suc,
L'abeille de mes pensées... Bran du
Question pour un haïku :
Un haïku peut-il être philosophique ? Non a priori... mais parfois, cependant...
Est-il un inventaire géopoétique d'un paysage ? Non à priori... Mais il en esquisse les contours
Assure-t-il un "lien", une relation ? Non il révèle seulement... un assemblage, une liaison... des correspondances... Coeur et esprit font la passerelle, jette un pont...
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Propositions d'échanges à partir de haikus...
Les haïku du mois....
Chaque fin de mois le "coordinateur" reçoit les haïkus des participants (ceux reçus dans le mois...)
Il compile l'ensemble (informatiquement) puis renvoie l'ensemble agencé aux expéditeurs concernés... User pour cela du courriel brandu35@free.fr les Haïkus de juin seront à envoyer à ce courriel avant le 25 juin.)
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Références livresques :
Sages ou fous : les Haïkus Henry Brunel Calman-Levy éd
Bashô, Issa, Shiki... L'Art du Haïku Pour une philosophie de l'instant... Le livre de poche31829
Petit manuel pour écrire des Haïkus Philippe Costa Picquier poche
Au fil de l'eau suivi de Haïkaïs Les premiers haïkus français... Mille et une nuit éd
Le Goût des Haïkus Mercure de France Franck Médioni
Haïkus Anthologie Roger Munier Points éd
Dominique Chipot Seulement l'écho anthologie de haïkus francophones La part commune éd
Haïkus d'aujourd'hui La lune et moi Points ed D Chipot et M Kemmoku
Haïku du Xxè siècle Le poème court japonais d'aujourd'hui Poésie Gallimard Corinne Atlan et Zénio Bianu
Tout sur les Haïkus D Chipot Aléas éd
Poème de tous les jours Anthopologie Ooka Makoto et Yves Marie Allioux Picquier poche
Bashô Seigneur Ermite L'intégrale des Haïkus D Chipot et M Kemmoku La Table Ronde éd
Le livre des Haîku Jack Kerouac Le Petit Vermillon éd
Aux éditions Moundarren de nombreuses compilations des auteurs anciens selon les saisons...
Haîku érotiques Jean Chollezy traducteur Picquier poche
Il existe une association de la pratique du Haïku et de la photographie appelée alors Haïsha ou "photo-Haïku"...
Association française de Haïku 14 rue Molière 54280 Seichamps
http://www.afhaiku.org courriel afh@afhaiku.org édite la revue Gong