Echos et résonnances, avec et autour de Nadine DUPEUX
Accompagnement d'un cheminement nourricier (A partir des très beaux ouvrages de Nadine DUPEUX... et des heureux et fertiles prolongements que cela m'a inspiré.) Bran du mars 2013
Nadine DUPEUX De la Rigole et de l’Ombre (2008) extraits
(Il s’agit d’une rigole creusée sur 17 kilomètres et destinée à alimenter un canal…C’est dans le secteur de Dingé en Ile et Vilaines) (L’auteur à « déambulé » le long de cette rigole et nous a restitué ses « impressions » et « réflexions » géopoétiques…)
« …/…Je mesure l’orbe pleine / de cet instant /où tout est en place, dans une / légère mais profonde immobilité…/… (Nadine arpente « les couloirs de lumière » à l‘écoute des « murmures des souffles invisibles qui sculptent les formes naissantes… …/… »)
De cela, par cela, avec cela naît la question et la vision, la perception d’une réponse printanière :
« …/… Et sous les nuages en gésine notre sang s’élabore, forme le projet de l’homme dans son noyau. Peut-être nous enfonçons-nous aussi, vers une semblable mort du grain, vers une germination… …/… »
« … Pour faire des relevailles du printemps… une merveille renouvelée dans le vert-joie, les jaunes, les blancs, les bleus… …/.. Et le vert-joie, le vert victoire de ces milliers de petits yeux tranquilles, en paix avec le temps… …/… » « Dans un crescendo de vitalité, sur une musique pleine de soi, sûre de tout, riche de l’air et de l’eau… …/… » « Dans une majuscule étreinte… » …/…
« Je me suis alors penchée, aimantée par les visages multiples de l’eau… …/… Les épousailles graphiques de l’herbe et de l’eau… …/… L’eau où l’infini se déploie, dans le silence des grands hêtres… …/… »
Des constats aussi naissent de ce rapport, de cette relation auto-pénétrante, auto-fécondante :
« Danser pour la vie, simplement… »
« Inintelligibles que nous sommes encore de nous-mêmes après trois millions et cinq cent mille ans d’existence… »
Dans cette exploration intime et profonde des « territoires de l’ombre », les questions se creusent et serpentent, s’allongent et se rétrécissent, se concentrent ou disparaissent, s’évasent et s’envasent, laissant traces « d’essentialité » dans le cheminement du cœur et de la pensée…
La rigole se veut, se voulait « reliance », porteuse d’eau en son épopée traversière… Elle avait vocation d’acheminement, de transport, d’alimentation… Suivre celle-ci et en transposer le but, la finalité ; c’est faire œuvre poétique, donner flux et onde, écoulement au poème, au-delà des stagnations qui guettent, des évaporations toujours possibles…
Il y a là comme une vocation similaire entre le ruissellement élémentaire des eaux et la fonction poétique…. Relier, acheminer, traverser, apporter, répandre, nourrir, transporter la vie de la source à l’estuaire, du pourquoi au comment….
Il y a là une acuité intimiste, un affouillement amoureux et voluptueux de la toison des mots… Un déshabillage lent, attentionné, du superflu, de l’ordinaire qui nous restitue la nudité première de ce qui est, aspire à être, à faire « mémoire »…
Je savoure ces quelques phrases comme un passage printanier ou estival de libellules vertes ou bleues :
« Déjuponner des petits bateaux » « Cette écume sauvage qui vaporise sa rage… Quand il fait grand Nord… »
Les textes sont servis dans un format qui est celui du carré de l’homme et agrémenté de photographies qui disent la qualité du regard penché dans les reflets d’un monde ; des reflets que seul le poète ne trouble pas d’une présence intempestive et déplacée…
…………………………
« Chaque poète est la racine de l’autre » dit l’ami Gilles SERVAT… Une même sève abreuve l’Arbre poétique depuis que celui-ci porte le ciel et élève la terre jusqu’à lui…
J’ai suivi à ma façon cette rigole d’écritures et en voici ma cueillette :
« D’une terre à une autre, entre deux sécheresses, la rigole est-ce serpent qui mue, cette femme qui rompt la poche de ses eaux… »
« Je te voudrais folle avoine échappée de l’herbier des heures. »
« Rien que l’eau, que la lumière ; rien d’autre que le songe estival de deux corps flottant entre l’aurore et le crépuscule… »
Un peu d‘humour au passage :
« J’ai quatre milliard d’années, je suis poussière d’étoiles, j’ai été à l’origine de toute choses, j’ai connu toutes les transformations possibles, imaginables, inimaginables, je suis tous les règnes, tous les éléments, toute la mémoire, toute la conscience, toute l’inconscience du monde et tout ce que tu as à me dire, c’est que je ne sais pas faire cuire des œufs correctement ! »
« Le reflet est plus que le reflet , une saison ajoutée, une note blanche et bleue, le geste que l’on a osé sur la peau du jour, sur les lèvres moussantes de la nuit…
Le reflet est plus que le reflet ; c’est la chorégraphie d’un silence qui fait mouvement vers le chant et la danse , c’est la cendre qui devient braise , c’est la respiration commune d’un amour additionné… »
« Pouvoir atteindre, approcher, cette légèreté, cette verdeur, cette « paisibilité », cette solidarité, qui émanent de l’assemblée des lentilles d’eau… »
« Les jeux de lumières, tout cela qui « réfléchit » entre le clair et l’obscur, qui s’écarte puis se referme au passage de la pensée qui plonge, qui affouille le velouté des ténèbres … Tout cela je le retrouve dans l’étang de tes yeux… »
« Le jonc penché face à lui-même se demande qui est celui-là, ce semblant, cet autre lui-même qui renverse la question… »
« Il y a parfois, en des trouées serties d’ombre et de cresson, d’iris et de joncs, des carpes de lumière qui viennent gober en surface des éclats d’étoiles, des fragments solaires… »
« La grande berce est cette révérence si gracieuse, si majestueuse ; une noblesse de courbes qui séduit le roi soleil… »
« La bonne identification, le fait de nommer de façon adéquate, savante, amoureuse, amène au pourquoi ; pourquoi la ressemblance, la similitude, pourquoi la différence, la divergence…. J’aimerai marier avec toi le pourquoi du comment ou le comment du pourquoi… »
« J’attends, l’éclosion…. La saveur, la senteur, le nectar…. J’attends comme la scabieuse son papillon !.. »
« L’étang, sous les projecteurs puissants de la lumière est un théâtre d’ombres parcouru d’un sang noir. »
« Les poteaux, les barbelés, cela qui délimite, cela qui s’approprie, cela qui dit l’emprise, la possession… Cela enclot par l’homme et que le moindre vent, le moindre souffle libère… »
« Avant la submersion hivernale, la plongée aquatique, les feuilles sur l’onde se rassemblent en un cortège chamarré, en une robe de noce offerte au fiancé de la mort… »
En conclusion provisoire de la lecture de l‘ouvrage de Nadine DUPEUX et pour remerciement :
En ces regards, mots, images, sensations et émotions, résident l’investigation aimante et amante, le fouissement attentionné et sapiential de qui pénètre et donc est pénétré, une façon de retourner les choses, de donner revers à la face apparente des mondes, de filtrer la lumière dans le tamis de la nuit pour faire d’un instant une pépite d’éternité…
La stagnation dit le jaillissement, l’eau en surface témoigne des peintures mouvantes et émouvantes du ciel et des saisons qui se reflètent dans le lac d’entendement vers lequel s’écoule le ruisselet de la pensée poétique… Cette capacité à faire d’un approfondissement une élévation, d’une matière inerte, une chorégraphie, une partition de sens et d’Essence..
Il y a en ce recueil, humble en sa grandeur, une divine proportion et propension ; une inclinaison, un penchant vers "l’essentialité" de ce qui est et aspire à devenir…
La déambulation épouse le cours de la vie, serpente au sein des mutations de la pensée et des sens, se moule dans les courbes des rives et des berges, s’empreint de vase et d’argile,
se recouvre de ce qui dénude, célèbre et consacre l’instant sur l’autel de la poésie…
La part de l’herbe 2007 Nadine DUPEUX extraits Onze tissages exposés
« Ecouter toute cette herbe
Seule
Dans son silence
Et l’écouter rejoindre
L’universelle respiration. » Alain VIRCONDELET (Eloge des herbes quotidiennes)
« Chaque homme, assujetti à sa propre cosmogonie porte en lui un jardin qui traduit le paysage et, derrière celui-ci, l’univers tout entier… » Gilles CLEMENT
Au cœur de l’ouvrage est placé : « La fragilité de nos identités et de notre image. La fragilité de l’être en vie. »
Ceci, retranscrit est mon parcours « personnel »…
La démarche : (Ce que j‘en retiens) : « …Déposer en un creuset de pierre, un athanor froid, humide et sombre… dans une matrice, dans un chaudron à macération, dans un mortier… dans la magie d’un lieu… une part vivante, qui pourrait mûrir ; se transformer, et ouvrir à une sublimation par l’eau.
Nourrir la part de pierre qui constitue le génie du lieu d’une part organique qui se laisserait toucher et féconder…
Là, confronter le sec et l’humide …/… et voir venir la métamorphose… un athanor ouvert au miracle du quotidien… »
En ce creuset de transformation repose « l’accompli et l’inaccompli »…
Augurer ici des espaces auxquels les chemins proposés peuvent mener…
…………………………………
Le songe de la nuit des vases :
Je mesure ce que sont l’ébauche, l’amorce du geste, l’hésitation d’être…
La fidélité :
…/… A mon corps défendant, je suis fidèle… Au désespoir je suis fidèle… C’est une constance sans objet. Qui n’attend que la reconnaissance et le pardon pour apparaître dans sa nudité.
Par ailleurs : (Il me semble que toutes mes couches vivantes sont traversées de sanglots…)
LA PORTE AUX FEUILLES DE PECHER :
« Pendant ce temps, les fruits, encore suspendus se préparaient au sucre, au jus et au parfum… »
« Les menues présences dont l’herbe se laisse consteller… »
La goutte de rosée : « Ce condensé de ciel et de terre dans leur grande limpidité… »
…/… « Il se peut que je sois exclue de cette jubilation …/… Que je sois sourd à cette invitation …/… Que je ne sache toujours pas comment me taire pour me laisser toucher…
« Voilà la part de l’herbe. Berceau, ciel de lit, chambre, sécurité…. Par qui, quelquefois, le chant vient m’effleurer. »
LA PORTE DU MATIN :
« …/… La limpidité s’installe entre les herbes, et appelle le printemps, les épousailles graciles d’oiseaux, de plumes et de souffles. La matrice se réveille, en appelle aux couleurs, aux bouffées de vert-joie que commande l’approche d’un nouveau matin… »
LA PORTE AUX FEUILLAGES VERTS :
« Mars : l’herbe appartient maintenant à nouveau à l’humidité ; son jus, sa lumière, son port… Appartiennent au monde extérieur, celui de la nouvelle énergie, des flux vivants…/…
Je ne suis plus qu’admiration et dévouement pour ce mouvement d’expansion …/…
La nouvelle herbe vivante, toute habitée de ses rayons est la parole même.
C’est au moment où l’énergie retourne vers les racines que mon regard s’éveille. Pour l’herbe et pour moi, il n’existe de lisibilité que dans le retrait…
C’est par un abandon qu’un passage peut s’ouvrir vers un plus d’être en vie ; un accroissement que seule peut rendre possible la si redoutée diminution des corps… »
« La broderie « une peinture à l’aiguille »…
Comme la mise au monde des corps, une connaissance intime et profonde des enveloppes reste puissamment encore l’apanage des femmes, brodeuses ou non. Tisseuses ou non. »
LA PORTE DU MARIAGE :
« L’herbe qui rassure est là …/…
La consolatrice, qui a mille voix à travers le vent, mille mains pour caresser, un parfum pour consoler… Elle est l’assurance de ne pas être perdue tout à fait, ni désarmé totalement…
Elle est le rideau qu’à tout moment je peux tirer entre la violence du mot et moi. Elle est l’écran par delà lequel j’habite une nourrissante solitude, enveloppée par son silence… »
LA PORTE AUX COCONS :
« Quand nos vies font sans nous… » Avec « Les images du monde dont nous nous accommodons pour habiter nos existences. »
LA PORTE AUX FRUITS ROUGES :
« Un petit filet de joie près d’un arbre. »
L’artiste : « Impossible de dire ce qui en propre lui appartient »…
« Ce qui arrive est abondant mais nous n’accordons pas de prix au présent. »
« Dans l’enchevêtrement des herbes qui se tricotent… »
……………………………………………
Itinéraire « Off » Bran du 12 03 2013 A partir de ce qui précède…
Hier, fut une paysanne qui, en poète, dressa la dernière gerbe moissonnée de son champ vers le ciel ; un ciel avec lequel elle avait été « de moitié » …
(La poétesse Angéla DUVAL)
Une étendue d’herbes sauvages ne dit pas l’insignifiance d’un paysage, mais les couleurs que prend la vie quand elle s’abandonne aux souffles et aux vents dans la saison de passage…
A la croisée des mots, ni croix, ni calvaire, ni poteaux, ni directions…
Nul écartèlement… Seulement un carrefour étoilé de connivences…
Quoi de plus fragile que le bleu d’un œuf couvé par le merle du Printemps ?
Chaque brindille est cette saison désertée de sèves et de feuilles…
L’apprentissage du tissage est sage et féminin enseignement ; la trame des origines, la chaîne des générations… Ce sont fils de lune et de soleil ; la bourre d’une blanche toison dont nous sommes tissus !
L’homme a souventes fois lié la paille et le foin, les fagots pour l’hiver, la gerbe de blé et tressé les oignons… Pour une solide amitié la chose est bien plus rare !…
L’herbe se ploie encore en sa rigidité devenue cassante puis se brise sous un souffle d’automne… Ainsi de bien des amours !…
L’herbe est une chandelle qui brûle éphémère dans la durée… Sa flamme est en nous !…
Celui, ou celle, qui tresse trois brins de blé font alliance aux noces des saisons…
Que de couronnes ! C’est ce que chuchotent les feuilles de pêcher… Mais où est la mariée ?…
La plume dit la buse, les serres, la chair ensanglantée et cela bien plus que ne le fait l’encre d’un poème…
Onze portes pour aller de la germination, de l’enfouissement vers l’éclosion extasiée de la fleur, de la mémoire vers le devenir, de l’humide vers le sec, de l’informulé vers l’inédit… Onze chemins tressés de vies denses, onze sentier qui fleurent bon les herbes, les mots assemblées saison sur saison… Onze broderies silencieuses… Onze tabliers d’heures buissonnières… Onze marelles sans paradis ni enfer sous la craie blanche du temps… Onze seuils, onze margelles… En soi, la porte douzième, à deux battants !…
La Part de l’Herbe se prolonge en un autre livret d’accompagnement qui complète le premier ouvrage décrit : (le Vent dans l’herbe - 2007) extraits :
« Les herbes ont si bien poussé
Que vous ne pouvez même plus voir
Le sentier qui mène chez moi :
C’est que j’ai attendu trop longtemps
Quelqu’un qui ne voulait pas venir. »
Sojo HENJO Tanka
La PORTE des ANCIENS :
Parole exigeante
Un oui, un n on, un je-ne-sais-pas
Que la tendresse suspend.
La PORTE aux PLUMES :
D’une nef
Rousse parcourue de reflets
Un songe le guide
Qui le défait des ombres.
LE SONGE de la NUIT des VASES :
Et prêts à se déverser
Sur moi, le trop-plein
Sur moi l’Amour comblé.
LES FEUILLES DE PECHER :
Vers moi l’Apaisé
Et
Qui me contemple
D’où le silence
Étend ses ailes.
……………………………………………
Autres ouvrages : Hommage à GUILLEVIC en 2005 Le CHANT DES GRILLONS MORTS DE JOIE extraits
…/…
« Maîtres nous resterons
Des heures encerclées
Par le sommeil qui
Peut attendre.
Et nous les porterons
Vers ce point qui se trouve
Etre le centre et la
Limite. »
GUILLEVIC (le soir)
« …/… Je suis dans la vie dans laquelle il en est une ; la mienne. »
Bernard GIRAUDEAU
« L’herbe qui épouse
Les flèches de la pluie
Et qui ne s’endort jamais. » …/…
« Qu’attendons-nous pour la révolte ? Qu’attendons-nous pour la vision ? »….
« J’ai des vallées profondes
et d’inouïs pentacles. »…
« Du ciel s’ose un chant. »…
« Je respire sans le savoir
Je vois
Sans le vouloir
L’air m’aspire
Et la marche
Me prend.»…
« C’est l’inversion des feux. »…
« Ainsi se lève l’heure d’accueillir,
De reconnaître ; »…
« Combien sommes-nous à nous attendre ? »… …/…
………………
« Un pétale choit /
Le silence /
Se défait. » …/…
………………
DANS LES COMBLES DE l’ABBAYE DE LEHON (Exposition en 2010)
« J’épèle les buissons, les brins d’herbe, les sources ;
Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses
Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous les pieds. » Victor HUGO les Contemplations
« Aux dérives de l’espace
Les parcours sont imprévus
Si souvent une aube efface
Ce qu’un soir avait conçu. »
Andrée HYVERNEAU (Qui mène au soir) …/…
Extraits des écritures de Nadine DUPEUX :
« …/… Toute perception n’est que reflet, soumis à la qualité des capteurs qui le reçoivent, et au final seule création de nos corps.
Tant il est vrai que le monde est en nous, tout autant que nous sommes en lui. »
« J’aimerai célébrer l’herbe partout présente, l’herbe qui guérit, l’herbe qui nourrit, l’herbe qui console, l’herbe qui protège… L’herbe-amie traquée mais belle, désirable, nécessaire…
Orpailleuse des fleurs et des écorces, en quête de mon image, cette vérité Une qui festoie et arpente sous le multiple.
Végétale je suis ; je suis menthe maternelle, consolatrice. Je suis cigüe, qui me regarde un petit sourire complice aux lèvres. Je suis ces boutons d’or qui m’ignorent, pleins de leur propre lumière, bercés de mondes nourris de quiétude. Herbaille aux multiples visages, chacun avec son chant, son goût, son fil.
Mon travail évoque la chair des plantes, tout autant que la lumière qu’elles recèlent.
Car ligneuse je suis, cellulosique, chlorophyllienne, épiphyte et rampante à la fois.
Puisque je suis moi aussi, ce buisson. »
………………………………………………… A suivre