Les dits du corbeau noir

EXTRAITS DE 2 ENTRETIENS AVEC CHRISTIAN BOBIN et NOTES BRAN DU 2019 26 02 FEVRIER

 

Christian BOBIN La Nuit du Coeur extraits

Entretien à la Grande Librairie...

« Mon vrai pays ; c'est la page blanche...

Une pensée sautillante puisée à la source du cœur... une pensée qui peut aussi être « brûlante » (jaillit de la caverne de notre poitrine)...

Etre « fracturé » par la beauté qui vous percute, mais qui peut aussi entrer dans une pièce comme un chat sur ses pattes de velours...ou comme un silence...

La vraie parole ne fait pas de bruit, elle n'a même, peut-être plus, de mots à elle... un sourire suffit...

La beauté a plusieurs façons de venir à nous...

La pensée comme une détention et une délivrance...

La vie est un alcool fort; brut...
Il n'y a rien de mieux que la douceur, que la vibration de douceur, que le bruit d'une goutte d'eau sur une large feuille de nénuphar ; un bruit imperceptible, mais que notre « œil entend » !

Il n'y a rien de plus beau que la délicatesse... que la douceur ; c'est la vraie force, la seule, la vraie, notre axe vertical...

Dès que quelqu'un fait effort pour être ; c'est éblouissant...

« Je crois qu'il y a dans le monde énormément de bonté. » André Dhotel

Si je parle du « terrible » c'est parce que je sais que le merveilleux existe aussi...

Il faut « radicaliser » pour donner à voir, appuyer sur le trait du fusain afin de l'épaissir...

Je ne pense jamais à Dieu, le nom est là, mais c'est tout... Je ne suis d'aucune église...Le nom de Dieu est presque imprononçable...

Dieu ; un nom qui affole, le seul sens que je donne à ce mot, c'est la pensée qu'on a pour ceux qui ne sont plus... penser c'est cela ; le sacré, le religieux, la fraternité envers les disparus...

Ce qui ne nous sauve immédiatement ; la parole quand elle est juste, la poésie au sens large, le retrait du monde...

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Christian BOBIN Un bruit de balançoire Ed l’iconoclaste Entretien à la Libraire Mollat

« Je ne suis d'aucune église, d'aucune appartenance, sans identité, sans étiquette (des étiquettes qui ont des fenêtres si étroites pour voir la vie qui n'est pas le monde.) » CH Bobin

« Brûler, tranquille, d'un feu de neige. » (idem)

A lire aussi l'Homme-Joie, mais surtout Une Petite Robe de Fête et le Très-bas. (Christian Bobin a reçu le prix de l'Académie Française pour l'ensemble de son œuvre)...

Une écriture, simple, fluide, limpide... sans frontière entre parole et écriture...

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Les librairies sont des points d'eau dans le désert du monde...

L'important c'est l'Être...

Le sentiment d'être « perdu » en ce monde... Quelque chose qui à a voir avec la rédaction d'une lettre d'amour. On cherche un visage là (de l'autre côté), quelque chose qui vous renvoi un écho, un partage, une respiration... (Vous cherchez à respirer)...

L'écriture ; c'est ce qui est, ce qui a été, ce faisant là dans la figure de la plus grande respiration. Vous agrandissez la Vie, c'est comme cela que je conçois l'écriture...

Nous sommes responsables de la vie elle-même, de la vie qui passe...

Un saint est une personne qui cumule tous les discrédits... Il rit, joue avec les enfants, exalte son insouciance ; de la vie, il est le poème...

La sainteté ; c'est ce qui fait fleurir les fleurs au printemps, c'est la poésie, c'est ce qui fait tournoyer les flocons de neige ; c'est une puissance d'amour... Ce n'est d'aucune église et d'aucune morale...

C'est l'électricité qui est dans l'air comme une puissance d'amour et de langage

J'écris aussi par gratitude...

La perfection ; c'est le contraire de la vie... Ce qui est parfait est excluant. La vie n'est pas parfaite puisqu'elle s'achève... mais elle n'est pas un tombeau pour autant...

Il y a une présence là offerte en l'écriture... Un livre ; c'est une table grande ouverte... C'est sentir votre propre pouls quand vous le lisez... Le tambour du cœur est là, sur la page, dénudé. Tous les coups portés sur la peau du cœur sont parfaitement audibles...

Les tambours modernes sont voilés, ils sont en deuil et font un bruit assourdissant et lancinant de basses, on n'entend pas vraiment ce qu'ils disent...

Tout arrive aujourd'hui, maintenant, et c'est très simple...

Le simple ; c'est l'énigme et le présent est ce qui la sert le mieux...

Les gens qui sont « partis » nous accompagnent en nous, à côté de nous...

Capturer et délivrer la vie, en la nommant, en la saluant avec gratitude malgré les épreuves qu'elles nous fait traverser...

On peut avoir le souffle coupé par quelqu'un, par un événement, par la beauté...

Par rapport à ce monde moderne, aux colères qu'il inspire, je suis assez confiant, j'ai une confiance a peu près aussi folle que celle d'un pissenlit ; ce « bébé-soleil » ; cette fleur tant décriée qui est pourtant une adoratrice têtue du soleil... J'ai moi aussi une croyance incroyable envers la vie...

On est « perdu» il est vrai, le visage de l'humain est en train de s'en aller, de glisser, mais cela ne m'inquiète pas, cela reviendra...

On ne peut pas être humain si on n'est pas « perdu »...

Le contraire de l'humain, c'est ce qui est efficace...

Nous aurons de nouveau à tomber amoureux, à connaître cette catastrophe tranquille...

Nous aurons encore à faire à ces choses élémentaires par lesquelles la vie nous reviendra, inexpugnable...

Fascination, pour la puissance d'accouchement, d'agissement, de la Vie par les Femmes, aimantes, attentives...

La poésie ; c'est cette lumière qui ne s'éteint jamais...

Il suffit de pousser la petite barrière rouge du cœur...

On peut voir en une fraction de seconde le martin-pêcheur de l'âme, mais cela se referme très vite...

La solitude est un choix, mais une solitude féconde qui met fin à tout isolement car nous sommes, lors, mystérieusement reliés à tout... La solitude est le contraire d'un abandon. Elle fait venir en nous un silence, un calme... Quelque chose alors s'approche, simple et mystérieux... Ce qui s'approche à des yeux de loup, des yeux qui vous veulent du bien, mais qui craignent l'humain, ses affairements, son avidité...

Cette solitude là est extrêmement peuplée, elle est aimée et non subie... C'est comme une main attentionnée qui vous met un peu la tête hors du temps...

Les contraires se parlent dans cette solitude (tous ceux que nous ne savons pas rassembler)...

La vie est faite d 'alternance...

Quand on arrive à une vérité quelle qu'elle soit, il faut se souvenir de la vérité contraire...

La vie n'est ni un ermitage ni la foule.. Elle tricote entre les deux... Peut-être qu'elle abrite dans notre poitrine (qui est le seul vrai «temple ») ; qu'elle que chose qui fait silence, qui se rapproche de nos entendements, mais qui est difficilement nommable et dicible... Quelque chose qui nous unit à tout...

Les moments qui précèdent l’écriture ont les plus riches. Mais attention aux sourcières de l'habitude !

L'entrée en soi même est une ouverture extrême...

Entrer en soi et sortir de soi, c'est, à peu près, la même chose...

On commande aujourd'hui à l'invisible, mais pas pour son bien...

Je me sens relié aux plus oubliés, aux plus abandonnés...

Les amis sont des gens étranges qui sont d'accords sur quelque chose qu'ils n'expriment pas...

Il y a un monde mélangé au nôtre...

L'humour est une sorte de pudeur...

On peut se moquer d'un ami, mais cependant avec une tendresse infinie...

Les amitiés vraies sont fondées sur ce sentiment inextricable d'un autre monde. Le socle de la vie y réside et passe dans l'amitié quand elle est pure, dans l'amour flamboyant et calme...

Le petit poinçon d'or d'un sourire ; cette délicatesse invraisemblable et très heureuse ; c'est l'extrémité de la vie...

La Vie ; c'est voir et voir ne peut se faire si on n'aime pas...

Le fin fond (la racine) est absolument indicible ; je ne sais pas ce que c'est, je sais seulement que cela se partage...

Ce que j'aime, ce n'est pas quelqu'un qui trouve, c'est quelqu'un qui cherche.

Ce qui nous parle, à notre cœur d'enfant, c'est le plus profond...

La force infatigable de la vie...

 

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Notes Bran du  : « Comment je peux dire cela ? Comment faire entendre et comprendre cela ? » Cela qui est sans voix dans sa clameur immense ? Comment donner à voir cette chose qui est lumière dans la lumière ?...

C'est ce qui revient constamment dans ces entretiens de « l'écrivain poète » qui, d'ailleurs ne veut d'étiquette que celle qui exprime le « sans nom » !...

Rimbaud, Nietsche, Van Gogh on tentés, en leur temps, d'exprimer, de manifester, ce que leurs contemporains ne voulaient, ne savaient voir de ce soleil qui rayonnait dans leur corps, dans leur cœur et dans leurs pensées...                                                                Ils avaient cette illumination intérieure devant laquelle s'effaçait toute obscurité...

La beauté leur avait craché au visage un baume de splendeur et de sérénité...

Pire aveugle qui ne veut voir et pire sourd qui ne veut entendre disent les adages populaires... Mais voir et entendre ; c'est restituer à la Vie ses yeux et ses oreilles et toutes ses facultés frémissantes et palpitantes qui habillent toute nudité d'un voile de clarté d'une extrême splendeur...

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Pourquoi entretenir avec force la rupture, le divorce, la séparation avec ce qui est disposé à nous envelopper de la « puissance d'amour », à nous enceindre d'un anneau d'incommensurable tendresse ?...

Comme si la vie devait rester incompréhensible et sans entendement avec ce qui en nous invoque et appelle, prie pour le retour de l'aube et de l'azur dans l'opacité de nos jours et dans la nuit de nos entêtement arrogants et stériles !....

La pierre est le langage, l'eau et le feu de même, l'arbre et l'oiseau de surcroît, et la danse des saisons... Nous ne connaissons de l’époustouflant alphabet du vivant que les signes de ponctuation et le retour à une sempiternelle ligne qui ne saurait tracé sa route parmi les blés et les rires des enfants!...

Il n'y a plus de mains, plus de linge blanc, plus de nappes brodées, plus de table marquetées, plus de cire d'abeille pour rehausser les couleurs d'une demeure assombrie... Il n'y a plus ni désir, ni volonté de rompre, ensemble, le Pain de Vie !...

La poésie est cet outil adapté à l'ouvrage de la Terre, un outil qui a connu tous les ensemencements du monde, la germination des attentes, des labeurs et des moissons, la dernière gerbe dressée vers le ciel et tressée de clameurs et d'acclamations...

Aujourd'hui, l'outil est là, parmi les orties, rouillé jusqu'à l'âme, perforé de glaces et de pluie, à demi enterré, délaissé à jamais dans le fossé d'indifférence, dans la déchetterie de ce qui n'est plus aimé, sur la décharge de l'oubli...

Des humains sans gratitudes pour ce qui fût l'étoile de leur longue nuit, le point d'eau désaltérant leur soif, l'aurore à se lever en eux les matins d'aubépine, les bras s'enroulant dans les spirales d'un feu consumé de tendresse...

Le monde n'est pas là où nous pensons le trouver, il est vain de le chercher ailleurs que dans ce sang qui, en nos artères, parcoure déjà l'immensité...

Nous voulons connaître « l'inconnu » oubliant que pour naître dans une nouvelle compréhension de celui-ci, il nous faut préalablement « mourir », laisser mourir en soi toute une étagère de convictions, de conceptions, en attente de revisitations objectives autant que lucides...

Vivre authentiquement, c'est aussi accepter qu'une part de l'inconnu demeure ignoré car cette « ignorance » sera le meilleur vecteur pour la recherche et la découverte de ce que nous sommes et de nos imperfections à être cela en modestie et dignité...

Nous avons tout cela dans les ouvrages de Christian Bobin et bien davantage encore... C'est un oasis dans le désert ; un oasis dont nous avions perdu l'emplacement, mais que quelques étoiles d'écritures nous restituent quand le cœur se fait berger ; berger aux pensées nomades et à l'accueil verseur de thé à la menthe...

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26/02/2019
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