Ile de Brehat (Enez Vriad) CARNET DU SEJOUR janv 2015 Bran du
Bréhat Janvier 2015 Bran du Partie 1
Journal du séjour...
04 janvier...
Anse de la Corderie...
La Maison St Pierre...
Quatorze degré en ce début d'hiver...
Traversée des plus calmes...
Les cormorans en pêche, peinards...
Les mimosas s'apprêtent dans les coulisses du printemps....
Cette semaine pas d'épicerie ouverte, mais, nous avons prévu notre ravitaillement...
Accueil chaleureux après une traversée de l'île effectuée dans la remorque aménagée d'un tracteur... (Avec le gabarit adapté à la largeur des passages entre les habitations.)...
(C'est Nicolas ; le virtuose, qui pilote le convoi...)
A chaque fois, on nous aide à charger puis à décharger...
La maison date des années 1700 ; une ancienne fermette...
Le propriétaire actuel à passé treize ans de sa vie sur St Pierre et Miquelon. C'est un passionné de la "Grande Pêche" telle qu'elle se pratiquait à Terre-Neuve, dans le Labrador, là où abondait le flétan, là où se fracassaient les goélettes... Sur les bancs !...
Petites fenêtres au sud; murs épais, plafond assez bas, poutres elles aussi peintes en bleu ciel, maquette de bateaux (doris), hortensias séchés en bouquet, vieux documents de navigation jaunissant sous cadre...
Et une cheminée promettant de belles flambées...
Voici quelques éléments du décor...
Une qualité de silence en cette "morte-saison" que l'on apprécie comme un verre de goutte ou un bon cigare au coin d'un feu pétillant de flamboyance et de chaleur....
Le jardin repose, les plantes s'ensommeillent rêvant d'un été bourdonnant d'abeilles...
Les merles surgissent des haies criant leur frousse comme s'ils avaient la mort aux trousses !
Peu de mouvement alentour ; c'est tranquille dans le hameau et dans le bourg...
C'est le moment pour ralentir toute activité et mettre le temps à la chaîne...
C'est l'instant élu et choisi pour s'adonner au bonheur insulaire en prenant soin de ne rien faire qui soit de nature à bouffer nos énergies ; des énergies en ressourcement et en revitalisation ; un corps en "réparation" et un mental prié de réduire sa voilure et ses boulimies....
Nous sommes à Bréhat...
L'île est délestée de son lot de touristes habituels en ce début d'année...
La compagnie des mouettes, goélands, aigrettes garzettes, tadorns de Belon, bernaches et courlis cendrés, nous convient à merveille...
Nous partagerons les landes et les grèves avec eux et ce, dans une parfaite cohabitation...
17 H 20 :
Le soleil n'est pas encore couché, il le fera en un clin d'oeil vingt minutes après...
Nous occupons très peu des trois cent dix hectares qui composent la surface insulaire, mais nous l'occupons pleinement, densément, avec l'heureuse conscience d'habiter un modeste fragment de la terre et de l'univers.... Il s'agit, simplement et de façon jubilatoire, d'y faire un "amoureux séjour" !...
Grise a été la couverture du cahier de ce jour, sans que cela n'altère la page blanche de notre agrément...
L'hiver s'accoude tranquillement au balcon de janvier peu pressé de revêtir sa froidure coutumière...
De la fenêtre de l'étage, juste avant le crépuscule, j'ai vu un couple de col-verts tracer une ligne droite allant du Nord au Sud de l'île...
Pour être géographiquement précis, nous sommes exactement au 5° 16' 33" de longitude Ouest et au 48° 50' 54" de latitude Nord...
Provisoirement, nous faisons augmenter la population hivernale, (estimée à 470 personnes), de trois unités supplémentaires....
L'île est répartie en vingt quartiers (terme remplaçant ici celui de hameau). Nous sommes logés près de l'anse de la Corderie et du Sémaphore.... C'est la partie Nord la plus éloignée du continent armoricain...
Les historiens ne sont pas d'accord en ce qui concerne l'origine étymologique de Bréhat communément appelée aussi "l'île des fleurs"... La thèse la plus pertinente ferait remonter à un terme gaulois "brigate" issus de "briga" signifiant "hauteur", avec les mutations diverses qui se sont succèdées depuis...
La sérénité s'est installée sur l'île qui a connu, dans son histoire, bien des épreuves à la suite de conflits entre les bréhantins et les normands (scandinaves), les anglais et les français... (Sans omettre les guerres entre protestants et catholiques...)
En 1591 on pendait encore les soldats vaincus aux ailes des moulins à vent qui dominaient Bréhat !....
On s'est battu ici pour un château dont les ruines ont été dispersées aujourd'hui...
Des lieux gardent l'empreinte de ces batailles et celui de Krec'h eskern (Le Tertre des ossements) rappelle l'une de celles-ci...
Le passage entre le continent et l'île est assuré tout au long de l'année....
Pour nous il ne s'agit pas d'un simple passage, d'une simple navette...
Nous avons le fort sentiment de passer d'un monde à un autre, d'un mode de vie à une autre façon d'animer une existence...
Le passage se fait aussi entre diverses zones de notre cerveau en demandant au "mental" de sortir de sa routine pour adapter un nouveau rythme de pensées et d'actions en délaissant son emprise coutumière au profit des capacités sensitives et émotionnelles que nous comptons développer et cultiver ici...
Il y a une mentalité, des façons d'être et de se relier, spécifiques à chaque île, chacune étant différente globalement du continent, mais aussi de ses "soeurs"...
A Bréhat, il y a une "familiarité" dans la rencontre qui veut que les saluts conventionnels se teintent d'une amicale personnification, d'un tutoiement et d'embrassades de concert....
Il est d'usage en effet de se saluer en nommant le prénom du quidam qui vous croise....
Cette familiarité toutefois ne semble concernée que les "locaux" qui partagent dans la durée une fréquentation certaine remontant pour la plupart d'entre eux au temps de l'école primaire...
Les passagers du temps et de l'espace que nous sommes n'aurons pas droit à ces égards !...
Sur les quelques sept cent habitations de l'île, on note environ cinq cent vingt résidences secondaires.... On peut estimer les "natifs" demeurés dans l'île à un quart de la population...
Contrairement à l'île de Bath les agriculteurs (quatre exploitants agricoles en tout et pour tout) et marins pêcheurs sont peu nombreux et l'activité touristique fournit la grande majorité des emplois insulaires...
Les deux îles connaissent toutes deux une forte fréquentation estivale, cependant, le rapport entre les visiteurs et les autochtones n'est pas de la même nature...
L'attention, l'accueil, le salut amical sont monnaies courantes à Bath et bien moindre à Bréhat pour qui le tourisme paraît plus "envahissant" et parfois, dérangeant...
(Même si l'on tient compte de l'apport économique considérable que représente cette masse de visiteurs, ceci nuancé toutefois par le coût important des investissements et aménagements que requièrent autant de touristes.)...
Cette forme "d'indifférence" vis-à-vis du "visiteur", plus ou moins toléré, sera manifeste et très très peu de nos salutations seront suivies de réponses...
La nuit tombée... Le silence s'assied sur sa chaise et tricote des heures paisibles, des minutes sereines et de calmes secondes...
Et nous faisons de même, de fil de songes en aiguille de rêves...
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5 janvier 08 H 46 :
Les pies sont bien matinales (et toujours en train de s'asticoter d'une toiture à l'autre.)...
Ciel bas et assez sombre ; le soleil reste dans les couettes de la veille...
Thym et citron pour un bol ; lait et café; thé pour les deux autres, du sucre pour les trois...
Nous allons repérer le "centre" de l'îlot :
Deux restaurant ouverts dont celui qui fait bar et tabac...
L'épicerie en service aujourd'hui seulement avec le dépôt de pain...
Il faudra se débrouiller autrement pour la semaine...
C'est le baissant, (084 de coefficient) ; les flots ont déposé un amas de goémon lequel est fort utile comme engrais pour les potagers et jardins...
On entend, à l'entrée de l'anse de la Corderie, les oies bernaches qui s'appellent...
Trois corbeaux affouillent la laisse de mer...
A un croisement rencontre avec un ananas géant (en fait un "palmier phénix" bien rondouillard.)... Il mérite bien une "palme de l'exotisme" ; palme que nous lui décernons sans discussion...
Un mimosa bien abrité met du jaune vif dans le ciel histoire de montrer au soleil qu'il y a d'autres façon de "rayonner"...
Quelques grappes blanches de jasmin défient du haut de leur muret les prétentions de l'hiver à fermer la boutique de la fleuriste estivale et automnale...
Les camélias n'aiment pas s'exposer aux regards indiscrets aussi cherchent-ils des abris adaptés à leur pudeur pour faire éclore le secret de leur coeur...
Sur le chemin du sémaphore et celui du phare du Rosédo, nous en avons débusqué deux, un blanc et un rouge...
Le laurier sauce abonde sur l'île qui ne manque pas de lapins...
Les deux s'associent très bien dans une marmite !...
Le bord des sentes et les talus sont parsemés de macerons (une ombellifères peu recommandées pour les chevaux) et d'agapanthes en hibernation... Ici et là, des touffes d'iris fétides...
Nous saluons au passage de très beaux eucalyptus et des cèdres du Liban...
Toit en ardoises
Façades de granit rose
Et un éventail de volets blancs...
Nous avons longé la "grève douce" puis "Ker Guen", traversé Keranvoux puis le Pont Vauban qui sépare les deux hémisphères de l'île en Nord et Sud...
Passé le Pont Vauban
C'est un autre décor ;
Nous quittons la porte du Nord
Et le domaine des grands vents...
Nous croisons les habitants venus en courses avec leurs chariots ou carrioles... Très peu de bonjours comme si on réservait sa salive
pour les habitués et connaissances !...
Rares sont les pissenlits et encore plus rare la mâche, ce sera difficile d'assaisonner une salade sauvage...
Pour le déjeuner, Gilbert nous a concocté une "soupe à la graisse" avec les légumes de saison et une graisse venue...du Cotentin via Soaze et parfumée d'épices diverses...
Mes deux genoux me font souffrir après deux heures de marche et je dois m'allonger pour reposer les articulations mises à mal...
Il me sera difficile de ressortir dans l'après-midi, mais heureusement, il me reste l'agrément de préparer, sur mon carnet de notes, ce rendez-vous avec vous qui me lisez maintenant....
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17 H :
Gilbert allume le feu dans la cheminée...
Cela faisait plus de dix sept années que je n'avais pas eu la joie
de voir danser des flammes dans un foyer adapté à leurs chorégraphies...
La mémoire se réchauffe le coeur et l'instant présent ronronne de plaisir...
Ce d'autant plus que l'ami de toujours empoigne sa guitare et ravive sur les cordes quelques mélodies, quelques accords et arpèges qui reviennent à la surface des ondes pour enchanter
ce moment "magique"....
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06 janvier 08 H 26 :
Ciel dégagé et lumineux au Sud...
De la fenêtre, je vois l'anse de la Corderie à son plein...
C'est marée haute...
Nous nous mettons en route pour le Nord de l'île afin de bénéficier d'une belle luminosité qui ne durera pas vite masquée par le crachin venu de l'Ouest....
La côte est resplendissante et les eaux, les roches, se teintent de vives clartés... C'est la lumière qu'il nous faut pour user de l'appareil photographique...
Nous contemplons, sortie des brumes de ces derniers jours, le panorama qui s'étend de la Chaise de Renan à Roc'h Blat en passant par la Pointe du Groua...
Passage à l'étang du Lenne séparé de la grève par un cordon de galets arrondis par les siècles...
Une douzaine de Bernaches au repos ; elles s'éloignent à notre approche...
Un troupeau de vaches à la belle et épaisse robe rousse fait preuve d'une belle indifférence à notre égard...
Nous ramassons quelques branches et pommes de pin pour "lancer le feu" ce soir...
Au déjeuner, en cours de préparation, émincé de poulet au cumin avec crème fraîche, haricots verts et pommes de terre de l'île achetées sous l'auvent "en libre service" de François le Tronc et de Marion à Kervilon, en laissant, dans la boîte à lettre, le montant des achats (deux pots de ratatouille "maison" en plus des pommes de terre répondant au bon nom "d'alliance".)
La soupe à la graisse constituera une excellente entrée ; la réchauffer la rend meilleure...
François et Marion sont aussi musiciens traditionnels ; hélas, ils sont absents lors de notre passage, mais nous espérons bien les rencontrer d'ici la fin du séjour....
Une sieste réparatrice s'impose pour nous trois...
Au réveil nous réviserons notre répertoire de chants de marins....
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Sur "l'île aux fleurs",
J'ai pensé à vous ;
Avec, je l'avoue,
Votre amitié au coeur....
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14 h 47 :
Je vais explorer le secteur situé entre le phare du Rosédo et l'amer du Rosédo en poussant jusqu'au Bec ar Gorel face à l'île Maudez...
C'est une zone très rocheuse qui comporte des endroits marécageux avec des aulnaies et des roseaux....
Le ciel est très contrasté avec des passages nuageux bien sombres et des éclaircies au rayonnement intense...
Il y a de grand tapis de fougères ployées par le Nordé et, ici et là, ces hampes en bouquet que sont les Herbes de la Pampa...
C'est le mariage insolite de l'Argentine et du pays armoricain... (Des touffes de toupets hissés au vent et enveloppés de lumières vives ou douces.)...
La roche offre des cuvettes de granit rose aux ablutions sacrées de la pluie...
Tout ici n'est qu'un vaste offertoire qui perpétue des millénaires de dévotions aux forces originelles...
A l'extrême Nord, pointe le phare du Paon qui tutoie l'immensité des houles et des ressacs...
Les ajoncs ont amorcé leur fleurissement...
Le tertre que j'arpente est tout en ronde-bosse... Il est soumis à la rudesse des vents, à la douceur de certaines aubes, à la volupté sanguine de quelques crépuscules....
Les éléments sculptent et façonnent la roche têtue et obstinée qui oppose son bouclier de lichens et de parmélies aux coups de boutoir des saisons...
C'est un lieu pour naître et donc aussi pour mourir avec, penché sur le berceau ou le cercueil, le même sourire d'une fée...
Au large on aperçoit les fronts de mer du continent ; une incroyable densité de constructions qui s'emboîtent les unes avec les autres...
Ici, nous sommes préservés de l'emprise immobilière et de nombreux espaces sont à l'abri de cet envahissement...
Ici, l'herbe rase, les silènes, l'armérie maritime, les cinéraires, gagnent les hauteurs pour boire directement à la rosée du ciel....
Ici, les plantes trouvent un salutaire refuge dans les nombreuses anfractuosités qui entaillent les rochers...
Dans le ciel le soleil et les nuages se livrent un combat vigoureux... L'emprise des ombres recule, percée de part en part de rayon solaires...
Mille robes, mille parures et un diadème d'écume pour l'île souveraine qui ne se dénude que devant l'amant, que face au poète, élu de ses songes...
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07 janvier 05 H 41 :
C'est nuit de pleine lune et c'est grand calme...
Vénus seule dans son coin...
Une marée de nuages déferle sur la grève du ciel...
Une myriade de vagues moutonneuses...
L'aube devrait être claire et dégagée une fois passé le grand troupeau.....
Cela augure d'une belle journée...
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Nous sommes "insulaires" et fort heureux de l'être....
C'est un territoire circonscrit, limité, entouré de houles et de flots...
Un fragment terrien et océanique du monde et de l'univers ; un fragment unique, parfaitement identifiable sur une carte...
Nous sommes des îlotiers qui, en peu de jours, se sont suffisamment repérés pour opérer une tournée des lieux ; une tournée faite à nos pas et à notre mesure...
Chemins, sentes, dédales, impasses, se révèlent à nous complétant nos données d'orientation et réduisant nos parcours et fatigues du fait des raccourcis découverts...
L'île se révèle à nous et, si nous savons nous "révéler" à elle, nous en connaîtrons davantage l'intimité et les secrets....
Sans nul doute deux populations cohabitent sur cet archipel : ceux qui passent et ceux qui restent ; ceci déterminant un relationnel spécifique attribué à chacune de ces catégories d'habitants...
Il y a l'éphémère, le passager et ce qui s'inscrit dans une durée, dans une fidélité et une fréquentation constantes et régulières...
Les attitudes et les comportements diffèrent de ce fait...
Nous cherchons à instaurer des passerelles dans une cohabitation d'entendements et de considérations réciproques, ceci de la façon la plus naturelle qui soit mais, tout relationnel demande une volonté commune de tisser des liens et de les enrichir ; un désir basé sur la confiance laquelle est la clef de "contact" indispensable...
Le terme d'insulaire, se gagne et se mérite ; c'est un attribut, une dénomination, réservé à quelques uns et quelques unes qui ont passé à leur doigt une alliance et qui revendiquent leur amour pour ce morceau de terre qui les a vu naître ou sur lequel ils ont construit leur vie, leur espérance, leur choix et leur identité....
Un territoire limité dans l'espace, dans ses étendues, ne favorise-t-il pas un sentiment d'intimité, de proximité avec soi-même ? N'est-ce pas cela que nous recherchons, que nous souhaitons approcher, comprendre et vivre ?
Ramener les êtres et les choses, les paysages mêmes à une dimension que l'on peut prendre dans ses bras et serrer sur son coeur !...
A SUIVRE...
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