INSULAIRE 2 (BELLE ILE ...) BRAN DU 2024 28 05 MAI
BELLE ILE PHOTOS BRAN DU
Insulaire 2 : Bran du Mai 2024
Aujourd'hui, il pleut, ciel couvert et gris mais vent faible. Ce n'est ni l'averse ni le crachin, une pluie intermédiaire et c'est comme si les cieux déversaient ici un peu du chagrin du monde....
Aucune violence mais une pluie pondérée qui nimbe l'île d'un léger halo qui se répercute sur toute la contrée insulaire comme sur une vitre aux douces et irrégulières coulées de larmes...
La Bretagne à cette figure où la joie solaire alterne avec les peines des hommes et des femmes, où la compréhension des sentiments se fait à travers l'alternance de la météorologie...
Le « temps qu'il fait » est une préoccupation quotidienne qui concerne tout autant le climat entretenu par chacun dans son cœur et dans ses pensées.... La houle succède aux accalmies et les tempêtes aux embellies.... mais tous et toutes s'accrochent au « caillou » non comme à une bouée de sauvetage, la perdition n'étant pas de mise, mais comme à ce qui rassure et conforte dans les amplitudes des marées du cœur...
Habiter une île est la résultante d'un choix mais aussi d'une sorte de pulsion, d'attirance, d'aimantation, d'aspiration même...
Peut-être que c'est au contact de l'île, dans ce qu'elle enveloppe et enserre de carences, d'absences, de frustrations que macère une alchimie de l'être conscient de ses manques, de ses besoins en complétude et en épanouissement...
La quête de « l'Essentialité » trouve ici une application plus évidente, plus accessible, plus immédiate que sur le continent...
L'île semble « épurative » et ouvre au discernement comme à une nouvelle respiration de l'esprit et de la pensée...
L'île propose une évidence claire, lucide, transparente pour ainsi dire et son silence même sait parler aux sens des êtres et des choses...
Ici, pourrait-on dire, on ne se lasse pas de tout ce qui vous enlace d'une saison à l'autre, de ce qui vous entraîne sur une piste de danse où vos pas épousent la chorégraphie des herbes et des feuilles, le ballet des mouettes, des sternes et des goélands, les prouesses aériennes des martinets, le vol furtif des merles, les caroles, manèges et spirales des éperviers et des buses...
Alors que l'on parle de « décroissance » sans préciser pour autant ce que l'on entend par croissance et ce que celle-ci concerne plus explicitement, le constat s'impose : ce qui décroît ici c'est la courbe des insatisfactions, des trop grands différentiels, des insuffisances élémentaires, primordiales et fondamentales, des manquements qui ne peuvent combler une vie de ce qui fait la Vie elle-même...
Certes la superficie d'une île est souvent restreinte voire très restreinte et les déplacements en sont raccourcis mais le parcours est parsemé de bonjours et de salutations soit de cela qui tisse un réseau relationnel et qui constitue une trame qui illustre et anime un sentiment de commune appartenance...
L'île alors peut s'apparenter à une zone de libres échanges, où les nouvelles passent le lèvres à oreilles et se colportent d'un quartier à un autre, d'un hameau à un autre, d'un banc à un autre, d'un bar ou estaminet à un autre et, jadis, d'un lavoir à un autre...
Même le langage se teinte des couleurs et des senteurs spécifique à chaque île... Les mots eux-mêmes sont chargés de sel, de songes et de sueurs... On nomme avec précision ce qui se doit d'être respecté et on fait l'économie du subalterne, du superflu et du dérisoire...
On se comprend si bien dans l'énoncé du propos qu'il est parfois inutile de conclure une phrase...
L'évocation, l'expression même oscille entre le passé, le présent et le devenir et rien n'est oublié du lent ou vif déroulé du temps...
Ce qui est passé est passé et n'est retenu que ce qui mérite de l'être sans pour autant encombrer la mémoire....
Le présent lui est offert comme s'offre l'aurore, le matin, la journée, l'indécis du ciel, le furtif de l'instant...
Quand à l'avenir il se suppute, se projette avec divers aléas mais ce, avec réserve et précaution... On ne saurait en dire trop mais suffisamment cependant...
Beaucoup de volets fermés à la période hivernale, parfois plus de 70 % de l'habitat comme à Molène... et les problématiques en terme d'alimentation (eau, électricité, services...) lorsque l'affluence saisonnière quintuple la population locale...
La forte fréquentation, assez ponctuelle d'avril à début octobre, n'est pas sans générer quelques problèmes de « cohabitation », la vague dite touristique causant de réelles perturbations dans le quotidien des insulaires surtout en terme de circulation et de stationnement des véhicules à moteur...
La gestion des déchets ménagers pose aussi des difficultés surtout quand il faut préserver l'île des gestes de non civilité...
La règle consiste à s'adapter au mieux mais sans pour autant faire des compromissions au détriment de la vie insulaire et de l'environnement de celle-ci...
Trouver un logement est devenu problématique pour les insulaires eux-mêmes car les propriétaires préfèrent mettre en gîte leur habitat à des prix conséquents plutôt de de louer celui-ci à des habitants locaux... C'est le cas notamment à Belle-Île où des saisonniers renoncent à faire la saison leur loyer étant trop cher par rapport à leur gain... Ainsi des restaurants ferment en plein été faute de serveur ou de cuisinier....
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Entendu sur le « caillou » :
« Ici, pour vivre, il faut inventer ou réinventer sa Vie. »
En effet car dans le monde insulaire le rapport à soi-même détermine déjà le rapport instauré tout alentour lequel demande une attention particulière car ce n'est pas l'individu qui influera sur son environnement mais bien le contraire et il faudra même obéir aux vents et aux caprices de celui-ci, obéir aux crachins, obéir aux marées, obéir aux puissances hautement manifestées...et comme les tamaris se plier aux directions imposées...
(Il me souvient,à Ouessant, d'un bloc granitique ayant, grossièrement, un profil humain... Il avait tant ri de nos bêtise et de nos absurdités qu'il s'était fendu jusqu'au delà des oreilles.)...
De l'île ou de l'humain qui façonne, sculpte et modèle l'autre ?
De toute évidence, c'est à l'humain de laisser l'île le pétrir et le malaxer afin que son cœur soit comme un bon pain sorti du four, un bon pain d'Amour...
Entourer, envelopper de toutes les mouvances du Vivant et des senteurs vagabondes, on se sent alors vivre, pleinement vivre...
L'existence s'incarne, vibre, pervibre, se lie à la danse d'un bourdon, aux échappées d'écume, à la grâce des ailes planantes, à la fuite zigzagante d'un lièvre, aux houles rageuses, à l’affolement des girouettes, aux jurons des anciens, aux maillots et culottes qui apprennent à voler sur la corde à linges...
Ici sont des heures d'insouciance, des instants savoureux où se prélasse la contemplation où le lézard lui-même médite sur sa place chauffée plus ou moins par le soleil...
La pensée, contrairement aux roches déchiquetées, ne connaît pas de déferlements mais de saines accalmies où elle s'assoit sur un banc face à un noroît lui-même parti se reposer...
Tantôt verte, tantôt bleu, tantôt comme la veste des vieux quimpérois, mitigée de vert et de bleu, la mer fait, en toute saison, couvaison de l'île... Et c'est le cœur de chacun et de chacune qu'elle féconde et rend fertile...
Se contenter, ici, de ce que l'on a et ce que l'on a fait suffisance, désaltère, fait nutrition, donne becquée de beauté et de splendeur...
Il y a, à certaines heures, des courants, des flux qui portent à l'ivresse, à la transe et qui vous hypnotisent et qui vous transforment en chaudron magique où se touille l'abondance ; l'abondance d'une vie drue, dense et intense comme une flamme qui s'élève dans le grand foyer du ciel...
Bran Du mai 2024