Jean GIONO "PROVENCE" et commentaires Bran du 08 2015
Provence Jean GIONO les guides bleus 1950 (extraits)
«...Longtemps avant d'atteindre les régions du silence la vie s'organise en fonction des espaces déshérités...
Le berger se juche au plus haut pour avoir de l'étendue sous les yeux...
Si l'on ne peut s'éloigner qu'en soi-même, qu'on le fasse au moins avec toutes les audaces...
Tous les matins, le soleil saute d'un bond dans un ciel sablé comme une arène...
Quand on navigue sur les crêtes, au milieu des moutons ou que, courbé en deux, on sonde à la faucille le violet profond d'un champ de lavande, c'est pour apprendre que l'on n'a de ressources qu'en soi-même...
On serait tenté de faire feu de tout bois dans ce libre échange avec d'inépuisables richesses.
Pas de vanité inquiète ; quatre mètre carré de désert valent tous les rêves de César ; donc pas d'humeur.
Tout se fait dans la paix, et tout, c'est beaucoup.
On ne s'indigne ni d'une pensée cachée ni d'une pensée découverte...
Le déroulement des déserts va jusqu'à l'horizon toucher le ciel vide et c'est peut-être des plages de l'azur que vient cet éternel ressac des feuilles sèches...
Peser les choses avec sa propre balance....»
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Commentaires : Bran du
Le descriptif précis, «géo-poétique» qui tente de cerner les contours, gestes et mouvements, d'une humanité à l'oeuvre dans son cadre de mémoire et de devenir, ne se dépare pas de considérations philosophiques aiguisées, lucides, profondes autant que pertinentes, comme souvent chez Giono...
C'est une humanité qui conserve ses attributs originels ; une genèse élémentaire et fondamentale où subsistent, en l'être des parts, des substrats, animales, végétales et minérales, comme si celui-ci demeurait encore enclos en pensée dans la tourbe et la marne des premiers matins du monde...
Giono enseigne, ne cesse d'enseigner, une essentialité de rapports et de relations constitutifs d'un être qui a conscience d'être et de la nécessité d'offrir à celui-ci un état de «présence au monde» qui ne requière qu'une simple et juste place au sein de la Création sans cesse en mouvement et en évolution...
(Tout en invitant à une contemplation symbiotique, avec ce sentiment de commune appartenance jouissive, tacite et complice, partagé de sens et d'intelligence, au sein des processus en action et des sons, musiques, parfums, odeurs, senteurs, qui en émanent.)...
Immergé au cœur des garrigues, en ce dialogue incessant et animé de vents marins ou montagneux instauré entre la pierre blanche, les silex, les buis et les yeuses, l'être, voyant, perceptif, amant et aimanté par les forces visibles et invisibles de la nature, participe, sensuellement, intimement et intellectuellement, de cet univers et des lois qui le régissent et l'ordonnent...
Une seule nécessité pour cela ; mais majeure et primordiale : l'entendement !...
C'est d'une mise en résonance et en correspondance qu'il s'agit et cela préside aux grandes lois de la rencontre, de la découverte et de l'échange... Et cela ouvre les yeux jusqu'aux plus lointaines étoiles !...
Le paysage révèle un «visage» qui fait miroir de celui qui le contemple...
Traverser les Causses, du Larzac ou d'ailleurs ou l'immensité des garrigues provençales, prédispose à des réflexions qui ont un caractère de révélation tant elles font éclore de fleur de lumière dans l'obscurité de nos enclos humains et de nos parcellaires étriqués et assombris...
L'homme ou la femme qui pérégrine, à son pas et à son cœur, parmi les genévriers et les chèvrefeuilles nains, ne possède rien, ne saurait rien posséder, en ces lieux arides et déserts mais, il sait, il comprend, que pour vivre en ces contrées désolées ou pour le moins âpres et rudes, cela implique d'appartenir de corps et d'esprit à de ces territoires où la vie se puise en traversant les roches et en laissant perler au seuil des sources découvertes quelques gouttes de sang mêlées de bonnes sueurs...
Il s'agit donc d'une appartenance plénière, désirée, volontaire, radiante et irradiante, où le corps en ses muscles et ses chairs se sait constitutif d'un corps plus vaste, plus large, plus immense, qui l'englobe tout entier et l'anime d'un même souffle ; un souffle émané d'un Verbe sans cesse créateur et multiplement conjugué...
Il remplit de la façon la plus honorable qui soit, sa «fonction» de poète, de barde, d'aède, de félibrige, c'est-à-dire qu'il amène sur nos lèvres gercées d'attentes et de vérités, ce vieux Chant du Monde qui, rejaillissant d'importance, irrigue de nouveau la vie d'un limon primordial, généreux et fertile....
Le poète appose sur le parchemin de l'existence son sceau de flammes et de sources ; un sceau dont la cire rouge est un mélange judicieux fait d'aubes, d'aurores et de crépuscules...
Giono perçoit sous l'épiderme du vivant les strates antérieures, l'argile primitive dans laquelle se façonna peu à peu l'être que nous sommes et qui attend encore et toujours sa réelle complétude !...
Au plus profond du filon réside un « or natif»qui est de nature solaire ; solaire et malléable pour l'Esprit qui fait forge de sa demeure et alchimie de ses pensées... En ce creuset réside un nodule de sagesse qui, patiemment, attend de fondre dans la flamme ardente du cœur et de son anima spirituel...
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