LE GRAND TROUPEAU Hommage à J Giono Bran du
LE GRAND TROUPEAU Bran du A Jean GIONO 1995/2005
…Il a rassemblé des mots, des mots encore ruisselants d’argile, suintant de sèves rousses et de feuilles ambrées ; des mots couverts d’écailles bondissantes et de plumes en parade d’amour, des mots tourbillonnants de lune en soleil…
Il a rassemblé des mots, ceux là des bergeries, ceux là des ruisseaux, ceux là des transhumances, ceux là des îles lointaines, ceux là perdus jadis dans les amas d’étoiles…
Il a rassemblé la bonne laine des mots, le duvet du grand silence, la soie des gestes amoureux et des rires de l’enfance et, de son bâton sacré, taillé dans les anciens solstices, il a appelé, un à un, tous les noms sacrés des Dieux ; les noms dans leur tendresse, dans leur force, dans leur puissance…
Il a rassemblé des mots avec une parole sage, celle qui paisse dans les alpages, celle généreuse et brûlée des grands plateaux… Il a assemblé des mots, ceux qui s’abreuvent aux rus d’importance, ceux serpentant à flanc de coteaux, ceux qui enfantent des agneaux qui bêlent en cadence…
Puis il a sculpté ces mots dans le chêne des mémoires, dans l’écorce de mai, dans l’aubier des naissances… lors le serpent du chèvrefeuille est monté boire tout là haut le lait blanc de l’univers, l’indicible Lactance…
Il a façonné ces mots; dans les paumes de sa patience, avec celles qui mettent la table aux noces des saisons, celles qui enfournent et mettent le pain rond sur la rude cire de la souffrance…
Il a lissé ces mots comme un potier alliant l’eau et la sueur, il en a fait une danse d’abeilles, un chant de harpe aussi léger que la danse printanière des bouleaux…
Il a, entre la pulpe des doigts et l’astre rougeoyant de ses douces fièvres, fait résonner leur peau à ces mots… Il a tendu les tambours entre la terre et le ciel afin que sur l’enclume de son sang s’en viennent frapper les plus divins marteaux…
Il a enchâsse le rubis et serti le diamant, et d’une Bouche d’Or, aux feux de’ la Saint Jean, ont jaillit tous les vents, tous les « grands turbulents » conviés à l’appel du Nord…
Avec les mots de joie et de paix, les mots complices de son pipeau, il a rassemblé du Verbe les plus fidèles sujets, tous-ceux là s’étirant de Manosque à Glasgow et voguant en « transparence »…
Il a rassemblé d’autres mots encore, ceux là qui cheminaient entre la vie et la mort, ceux là don t le corps avaient le froid aux yeux et la polaire absente…
Il a soufflé de ses lèvres bleues sur les matins d’azur, sur la promesse des amoureux… Il a posé le morceau de glace sur le front fiévreux des hommes irritables…
Il a materné l’espoir en son berceau, en a fait un chaudron d’abondance…
Il a chantonné cette berceuse énorme ; une berceuse très ancienne, afin que la mort puisse s’endormir sur le sein palpitant de la vie… Cette mélodie, toute la garrigue chuchote à la ronde que c’est le « Chant du Monde » !…
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Il a rassemblé des mots, le grand troupeau… Ceux-là avec leur parfum et leur senteur, avec leur forme et leur couleur et leur bonne ivresse de pain et de vin…
Alors ils ont suivi la pétulance du fifre, ces mots qui savent danser dans le feu, qui s’en vont aux clairières et aux estuaires, avec tout cela qui est de confluence…
Dire qu’il les aimait ces mots, leur silex tranchant qui fait saigner l’ennui, ces mots rudes mais de chair pleine et pulpeuse qui s’endort sous la cape d’un grand berger de feuilles…
Il a appelé ses chiens, le noir et le blanc ; des bêtes intelligentes qui savent lire dans les songes des hommes, qui savent le geste qui vient à leur rencontre, qui ont la connaissance et l’inflexion docile du saule pout tout l’ordre des choses… Des bêtes de compagnie qui lise déjà dans le regard ce que la bouche enfantera sur ses lèvres… Eux aussi, héritiers du premier langage, savent le son articulé qui fait pleuvoir sur l’aridité du temps et de l’espace… Ils savent intimement l’averse du don sur l’attente qui se creuse, sur les cuisses qui s’ouvrent, sur les bras qui s’écartent et se referment sur le noyau du fruit attendu…
Tous savent l’infinie patience d’une fontaine dont le bassin se remplit des larmes de l’hiver, des dernières joies de l’automne…
Tous savent cette pierre de foudre où tonne le Nom donné à l’invisible…
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Il s’est mis debout avec son paquet d’os, sa besace de nacre et de fourrure… Il a salué l’arbre pour sa verticale, pour ses nids, pour ses luttes avec le vent, pour son pelage frais aussi…
Il a plongé sa face dans le val, scruté toute la plaine à genoux… Les pierres ont sonné sous ses pas, roulé pour certaines dans les fossés…
Dans un nuage de blanches poussières, le Grand Troupeau s’est ébranlé pour descendre dans la vallée… Le soleil plongeait son sceau dans le puits de la terre…
Tout cela ondulait dans le courant des herbes, se déversait dans le village, se répandait généreusement vers le grand cœur orphelin des hommes…
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Le voici, ce grand fleuve de montagne qui dévale des étiages du ciel, qui ébranle les vergers d’innocence, les vignes incertaines, qui réveille les étables du sommeil…
Avec lui, cela qui tisse les nuages, cela qui carde les éclairs… et un Grand Cerf immense et sans âge !…
Lors la bogue du poème éclata d’évidence…
ECOUTEZ, ECOUTEZ TOUS !…. VOUS TOUS ECOUTEZ, ENTENDEZ…
Voici que s’avance le chœur des sonnailles !