LE PAYS RUDE (PARTIE 1 et 2) NOUVELLE BRAN DU EN HOMMAGE A JEAN GIONO (2020 27 01 JANVIER)
Pour les 50 ans de la mort de Jean Giono
Bran du 26 01 2020...
Le Pays Rude.... Parie 1
Je suis homme du Nord et bien peu homme du Sud, j'arpente plus les grèves que les alpages et mes cigales s'appellent des grillons...
Toutefois, cependant, j'aime l'écrivain de Manosque, l'homme du Sud et je le suit dans les méandres labyrinthiques de son imaginaire comme dans ses traversées de garrigues où chaque mot est un cailloux blanc ramassé dans la grande besace mille fois rapiécée du soleil...
C'est un monde de pierres sèches, de montagnes fanées, sans cesse affouillé par une langue de feu qui blanchit la chevelure des vignes autant que celle vieilles et des petits vieux...
Ce sont rocs et rocailles martelés par un forgeron solaire ayant pour tablier quatre quartiers de lune...
Tout y est rude même les baisers, même les mots chuchotés dans une oreille juvénile entre un cou rose et gracieux et une petite croix de supplicié...
Le jour est une enclume où vie et mort s'en viennent frapper...
Chacun, chacune, s'y forge un caractère trempé, où chacun y aiguise sa lame d'amertume...
On y forge l'anneau des noces et la poignée des cercueils, les berceaux, eux, restent encore, pour quelques temps en osier...
En ce monde, on écrase en chemin, sous ses pieds, toujours empressés, les noirs scarabées qui vont dans la lenteur mesurée d'un bord à l'autre des saisons
Il arrive que faute de grives ou de gibier, on fasse des « cartons » sur des hirondelles ou encore sur des panneaux d'interdiction ou de signalisation, histoire de défouler une haine qui vous infecte le sang comme du poison...
A chacun son hellébore, à chacune sa mandragore, son sang empoissonné !... Tant de poison dans les pensées et tant dans les corps !...
J'ai souvenance des lavognes asséchées où papillon et libellules quêtent une once d'humidité. Je revois parmi les buis et les chênes kermès, les genêts et les ajoncs acérés, les tapis de chèvrefeuilles, le blanc, le rose, le rouge de leur calice éclot pour l'office des abeilles...
Je revois les vastes enclos que hantent des taureaux aux yeux vermeils, au cuir tanné de fureur, aux sabots élimés par le rouge de la terre...
Là-haut, tout là-haut où s'assemble aux premières chaleurs la confrérie des coccinelles ; où des lézards verts et bleus s'adonnent à la contemplation du ciel, l'herbe, la pierre, la branche, de génération en génération, se transmettent la souvenance de ces pas qui arpentaient leur territoire, une pipe aux lèvres et un rêve de ruisseau clair animant une pensée en marche...
Ce sont chemins de sang que boivent les épines, les genêts scorpions y lacèrent jambes et genoux... Ce ne sont que caillassent et cailloux qui, à meurtrir vos pieds, se destinent...
C'était là un de ces domaines, l'un de ces royaumes, que cette Montagne de Lures qui à chacun donnait rendez-vous d'étoile et de berger...
Qu'allait-il chercher en ce lieu ; apanage des vents qui y apprennent à danser ?
Lui seul le sait, le savait, mettant cape de laine sur le froid des idées...
Arides, sont ces plateaux le plus souvent désertés, sans carrefour ni auberge, si ce n'est de grandeur et d'immensité...
Il fallait être colporteur, déserteur ou bandit évadé pour courir ces monts de solitude et, tant de vide, traverser...
Mais ce sont surtout rendez-vous de poètes, aux poètes donnés, que ces terres esseulées où l'eau même s'en vient à se taire et, parfois, le temps à ne plus s'écouler !...
Les gens, les « habitants » ont face de pierre grise, de pierre éclatée... Leur rire même défigure une joie par lui écorchée...
Il sont rugueux comme racines tortueuses, comme sarment arraché gardant encore en ses failles, entailles et fissures, un peu de chair terreuse et sanguine...
Quand ils se déplacent, quand dans l'espace ils bougent, c'est comme un serpent au ventre froid à la gueule sifflante et ouverte, lors en quête d'une innocente proie...
Sur la place l'eau est généreuse tant que, de la terre ou du ciel, abondamment elle reçoit... Mais sur les pavés ou dans l'aire de poussière, s'amoncelle, des hommes, le crachat parsemé d'injures et de colères...
Ceux-là ne donneraient pas la becquée aux oiseaux, projetteraient sur le mur la dernière portée de leur mère chatte, fracasseraient le silence du grossier de leurs mots... Ils recrucifieraient cent fois le mort sur sa croix...
C'est tout juste si, devant la mort, ils retireraient leur casquette ou leur chapeau !
Ceux là, les mêmes qui effacent, rageurs, la blanche craie au noir tableau du monde...
Les leçons qu'ils ont prodiguement reçues ne leur ont appris qu'à ne rien donner...
Et pourtant ce ne sont que sagesses des très Anciens héritées, mais si vite dilapidées par avarice et cupidité que le coffre en est vide et la clef au loin jetée !...
« Celui qui refuse l'eau à l'étranger, celui-là, aussitôt ,son cœur se devrait de sécher ! »...
C'est bien sagesse que cela... Ne sont que cistes, figuier, oliviers, biches, cerfs, chevreuils et sangliers, à ne l'avoir oubliée !...
Il n'est de plus grand fossoyeur de la vie que celui qui creuse en lui même une fosse pour ses rêves les plus justes, un tombeau pour ses idées de justice, de solidarité et de liberté...
Voilà ce qui arrive aux hommes qui enferment la source chantante de la vie dans un profond puits d'obscurité !
…///...
1 / Pays rude o combien ; pays de dureté
L'heure elle-même n'y est donnée
Ne sont qu'envies qu'il faut satisfaire
Et qu'importe le prix de cette affaire...
2 / On ne sait pourquoi ici chantent les cigales
Car l'indifférence fait les oreilles bouchées
Méfiance et défiance ici font part égale
On ne s'entend qu'à mépriser ou diffamer...
3 / Terres immensément brûlées et consumées
Le noir, la suie, font écorce aux arbres, aux arbrisseaux
L'eau des sources au ciel est remontée
Il n'est ici que sang assoiffé dessous la peau...
4 / Ne sont hommes que d'os et de chair
Ne sont hommes, qu'en eux-mêmes, enfermés
Occupés à recompter chaque motte de terre
Et les sous qu'il faudra, demain, dépenser...
5 / Prennent femme (une fille de la terre)
Corvéable à merci et en tout point résignée
Fera des enfants car il faut bien en faire
Qui feront une main d’œuvre à très bon marché...
6 / C'est un pays aride, le cœur y a son désert
L'eau elle-même refuse de s'y écouler
Où le temps d'aimer et des plus éphémères
Car le labeur, en tout, est une priorité...
7 / C'est pays de toitures aux charpentes crevées
Il pleut par endroit dans la salle à manger
Les hameaux se meurent par la vie désertés
L'ennui s'y englue comme grive au sorbier...
8 / Les femmes y ont la peau comme pomme à javeler
Et les mains crevassées par les froides lessives
Elles ont tristes pensées toujours sur le qui vive
L'extrême solitude y a sa gamelle attitrée...
9 / La mort bien souvent « tocsine » au clocher
Le cimetière fait le plein de fidèles locataires
Les hameaux se vident comme cochon éventré
Jadis dans les hauteurs, les voici en vallées...
10 / Ce sont corps d'argile orphelins de potier
Le temps façonne ces grands corps de misère
La joie n'a de rires, elle est célibataire
Rares sont les noces et la vie à célébrer...
11 / Encore faut-il au soleil prestement se traîner
Porter fagot d'espérance dans le rouge du foyer
Les yeux se fatiguent et se baissent les paupières
Demain, c'est certain, ne sera pas mieux qu'hier...
12 / Graines et semences sont chardons dans le pré
Et sont des étés qui ressemblent aux hivers
L'espérance est comme bougie au chandelier
Elle s'éteint quand on mouche ses prières...
13 / On veille sur ses biens comme sur une citerne
Et l'ailleurs, soleillant, ici est des plus terne
Chaque devoir est une flopée d'obligations
Et, s'il y faut paraître, et bien paraissons !..
…///...
Ce que l'on sait ; c'est que l'on ne sait pas
Et ce que l'on n'est pas, on le sait
Bien davantage et bien mieux
Que n'en savent de nous les « Dieux » !...
Chaque couche de paix
Recouvre une couche de guerres
Ainsi repose l' humanité
Sur ces deux couches alternées...
Pourquoi, en l'homme, si tant de chair, d'os, de muscles, de nerfs et de sang et si peu d'Esprit ?
Créer de la Vie, enfanter de la Vie, mettre de la Vie au monde, n'est-ce pas là toute la gratitude exprimée pour cette Vie qui nous a été donnée ?...
Des larmes parfois s'écoulent dans l'eau d'un lavoir où la misère fait miroir...
...///...
Celui-là, vêtu de Mistral, de Tramontane, de Sirocco... Celui-là disait d'un même souffle...
Il y a entre le cœur et la raison comme un muret de pierres qui fait séparation. Les lézards y prennent leur bain de soleil...
Quand la vie éteint l'un de ses cierges, elle se brûlent les doigts sur la mort...
J'aime, en hiver, les grands squelettes des arbres défeuillés, au moins on sait alors quelle architecture leur fait corps... mais de l'homme ?
Quand s'ouvre un chemin, on ne sait s'il mène à une île ou si une tombe s'y profile !..
La vie compte bien trop de « déserteurs » qui s'empressent de la desservir en louangeant la mort !
Celui là disait : Je t'offrirai un ruisseau de montagne et une étoile empruntée au ciel et tu verras enfin plus clair en ta vie...
Et l'autre de répondre : A coup de lame d'opinel on dépiaute le garenne, on lui ôte un œil...
A la fin de l'écoulement du sang on se trouve tout dépouillé de son âme...
Chemineau, roulier, vagabond, colporteur, arpenteur, routard, chiffonnier... autant de titre de noblesse, d'appellation en dignité... Les autres ! Ce sont comme les chevaux de Solutré : du vivant qu'on pousse dans le vide au promontoire de l'indifférence et de la nécessité......
Midi, consumé, calciné de torpeur, appesanti jusque dans ses ombres, se referme, s'assèche, comme pétale flétrie sur le noyau de Vie...
Ils perdaient espoir comme le platane ses écailles d'écorce ; un espoir que le printemps voulait bien leur restituer après le long dénudé de l'hiver...
Malgré tous les efforts, du thym, du fusain, de la glycine, du figuier, du fenouil, du lavandin, les odeurs de vie avaient senteur de mort...
Jadis, ils avaient été bergers
Ils ne le sont plus, ayant perdu, ayant égaré
L’Étoile qu'ils avaient en leur cœur...
Ici, sur les crêtes assommées de lumière, l'absence se lève et se couche sans que n'en frémisse un brin d'herbe... Elle est là pourtant éminemment présente comme les astres dans le ciel, comme la chanson d'une eau courante...
Sans qu'ils ne s'en rendent compte, elle tient compagnie aux hommes toujours en attente de ce plus qui se soustrait à leur vie...
Là où se tient la beauté et le don, les hommes restent en silence et en résignation !... (Les sentiments sont pour eux une sorte de gaspillage !)....
Il faut être beaucoup « sorti de soi », avoir pénétré tant de fois ténèbres et obscurités, pour entrer enfin, nu et à vif, dans la lumière... !
Parfois il se confiait à lui-même :
Mes songes ont pour couche le lit d'une rivière et vagabondent comme une truite en son glissé d'écailles...
...///....
La Pays Rude... (Partie 2) Bran du
Le meilleur était possible, mais ils ont préféré le pire...
C'est tellement plus facile de détruire que de poser, pierre après pierre, un fondement, une assise, à la beauté et à la bonté !...
On écrase l'orvet d'une semelle rageuse, on tape sur la bête qui rechigne, on frappe femme et enfant pour imposer ses lois, on dit « non » parce que c'est la marque virile de l'homme qui s'affirme...
On jalouse tout, lune et soleil y compris, on met des pierres dans le puits de l'autre, on ébranche tout ce qui dépasse et qui ferait de l'ombre de jour comme de nuit...
On parle la fourche ou la faucille en main, on incendie dieu et demain de sans cesse reconduire l'état d'aujourd'hui, les problèmes qui empirent...
La tendresse est un mot rayé dans leur vocabulaire, il n'en ont mémoire d'ailleurs car la cruauté, la violence, cela passe de père en père !... Cela se transmet bien plus que l'héritage via le notaire... (C'est dans les gênes une vieille hérédité.)...
La dureté, la brutalité, voilà leur affaire. Ils ont cet orgueil de fer par leurs ancêtres forgés... La vie, il la font aller, courbée sous le licou, ils la piquent de leur bâton ferré et frappent son échine quand elle ne veut avancer !...
Nul hiver chez eux ne saurait être doux...
Ce sont des « taiseux » qui enfournent le silence comme on enfourne de la poudre dans le canon d'un fusil...
Ce sont encore eux qui donnent au chaton orphelin un breuvage concocté avec de la mort au rat...
Derrière les lèvres closes se retiennent les laves de fureur et de sang... On ne saurait se fier à l’extinction de tels volcans !...
Les promesses sont des feux de brindilles et on ne fait alliance qu'en l'envers de la vie...
Ils mettent des collets aux portes et au fenêtres des fois qu'un visiteur y passerait le cou...
Assouvir à tout prix, et qu'importe si tout est désir, si tout est envie, si c'est toujours élever davantage le tas de fumier qui trône au devant de la ferme...
Ce sont hommes et femmes restés enfermés dans leur cocon. Du papillon, ils ne connaîtront ni la liberté ni l'ivresse... Ils n'auront à tisser que le fil tordu de la détresse...
…///...
A l'entendre, tout l'automne crépitait dans l'âtre flamboyant, des étincelles bleues, jaunes, oranges et rouges, tourbillonnaient au-dessus de son front, l'écorce de la nuit se fendait à ses mots...
La pensée bouillonnait comme de la résine... Le froid lors se repliait dans un recoin de la pièce... La raideur coutumière des hommes s'assouplissait épousant les plis de sa parole...
Celui-là, parce qu'il avait l’œil que les autres n'avaient pas, parce que des flammes de bonté sortaient des paumes de ses mains, parce qu'il coulait de ses lèvres un ruissellement d'eau claire, un chant aux multiples sources...
(Il avait pouvoir de faire se stopper le balancier des heures.)...
Celui-là savait comme sait la saison des glycines, la sève fusant vers le bleu de l'azur, la mère canne protégeant ses petits, le renard à l'affût aux entours de la ferme, le ventre qui s'arrondit, le calendrier qu'on effeuille, l'horloge qu'on remonte, la soupe qui fume, le chien squelettique qui tire sur sa chaîne, le facteur qui ne passe plus, le seau troué d'usage, délaissé là, sur la margelle du puits...
Celui là savait autant que les choses et les bêtes savent de l'être que l'on dit humain ; une humanité plus proche de la prédation que que l'offrande d'un sourire...
Celui-là naviguait entre profondeur et élévation ne laissant nulle empreinte en surface, relevant et recueillant, mot après mot, lame après lame, houle après houle, vague après vague, ce que la marée apportait au rivage des naufrages des hommes...
Celui-là voyait en chacun, en chacune, la blanche ou rose nudité de jadis, quand la peau était au contact direct avec l'air, le souffle, les vents, le grand respire de la Terre et de l'Univers, quand l'oreille captait encore les bruissements d'insectes et les bourdonnements joyeux de l'Amour...
Celui-là disait et les bourgeons venaient aux branches, l'agneau à la mamelle, le soleil sur le haut des crêtes et les lèvres à la source... L'air même avait chanson...
Celui-là disait et c'était, sur la table, la nappe des dimanches...
C'était un souvenir d'enfance traquant une truite sous les pierres...
C'était vin clairet versé en cercle sous la treille de la Saint-Martin...
Et cela sortait comme l'enfant du ventre de sa mère, criant la vie de tous ses jeunes poumons...
Entre deux bouffées de pipe, on entendait fumer le tabac de la sagesse :
Etreindre, c'est cet acte circulaire façonné d'argile et de chair qui donne feu à l'âtre des jours et des nuits... Mais, que d'étincelles orphelines de foyer !
Qui sert l'homme qu'il puisse en retour serrer sur son cœur et enserrer de ses bras ?
L'espérance est un seau rouillé et percé qui fuit de toute part !...
Une lauze tombée, cela se remet en place, mais l'honneur d'un homme !...
Chaque toit à sa gouttière, les hommes n'en ont pas qui ne pleurent jamais...
Le pain lui-même ne reçoit plus sa croix..
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L'instant si rare d'émerveillement n'est plus que brique chauffée dans le four, que tourte de lassitude à la croûte noircie par l'amertume......
Quand l'abeille du jouir faisait son miel de nuit et de jour... Quand l'hirondelle faisant retour d'un printemps dans le sein... Quand le destin en chemin faisait un détour et à la porte du cœur frappait soudain...
Celui-là avait semelle de poussière et bâton de buis pour tutoyer le ciel. Sa pensée sautillait comme sauterelles bondissant dans les traverses de l'air...
Sa marche, toujours serpentaire, avalait l'espace, s'engouffrait au matin dans des coulées d'aurore, dans des venelles de jasmin...
Sous ses doigts, sous sa main la plume se faisait d'argent ou d'or et de rondes lettres, alors, gravaient son parchemin...
Celui-là trouvait sa juste place dans le muret des siècles, jointé de toute part à cela qui scelle la Vie, faisant mortier de ses rêves et de ses songes...
Devant celui là, un arbre retirait sa houppe de feuilles, un autre appelait aux oiseaux pour un chant de gratitude...
Sont ainsi des fontaines qui ne sauraient tarir et qui s'écoulent sans bruit dans les entrailles de la Mère...
Ce sont rais solaires ou bien éclairs foudroyants que ceux qui colportent de vallée en alpage, de bois en hameau, une brouettée de mots qui flottent comme rubans de noces dans le mortifère des usages coutumiers et le funéraire des résignations...
Ceux-là, ni sourds, ni aveugles, ne se précipitent pas, ne cherchent pas de boucs émissaires, ne projettent pas d'ombre dans la lumière... tant ils sont à célébrer !...