LECTURE ESTIVALE 2024 NICOLAS BOUVIER JOURNAL D'ARAN EXTRAITS 12 09 SEPTEMBRE
Irlande : Photos Bran Du
Lecture estivale : Bran Du septembre 2024
Nicolas Bouvier Journal d'Aran et d'autres lieux (petite bibliothèque Payot « voyageur ») (extraits)
Notes Bran Du
W B Yeats avait invité le poète Synge à se rendre sur les îles d'Aran afin d'y étudier et parfaire la maîtrise de la langue gaélique considérée comme étant ici le plus « pur» parlé...
Il restera assez longtemps pour décrire une population rustre et rude, très laborieuse et très frugale... Nicolas Bouvier suivra la trace de son illustre prédécesseur et nous livre, ici et sans ambages, ses vives impressions...
Au passage, il fera état du caractère celtique encore attesté de ces îliens accrochés à leur « caillou » entre mémoire et devenir mais aussi encore présent dans cette Irlande que les romains n'ont pu conquérir...
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L'île des Saints... (Ceux-là ont, et leur caractère « celtique » avec eux au sein d'un monachisme combattu par Rome qui en sortira vainqueur, « converti » une grande partie de l'Europe. N.D.R)
….St Gall se débarrasse des ours qui peuplent son territoire et ce à coups de goupillon, mais c'est un goupillon bien reverdi par une sensibilité celtique toujours prête à traiter avec la nature, ses caprices, ses porte-paroles...
Les Romains ne sont pas venus ici... Pas de bornes milliaires, pas trace de ces systèmes qui réduisent la nature à des droites et à leurs perpendiculaires...
Pour l'essentiel l'île appartient à ceux qui, au prix d'un labeur inconcevable, ont fait passer cet immense caillou du gris au vert tendre, l'ont transformé en paradis pour les botanistes et les ethnologues...
(Les murets, mis bout à bout, couvre toute l'île sur 12 000 kilomètres et semblent maintenir celle-ci dans un filet aux mailles serrées...)
Sur l'île, chacun connaît chacun, mais on touche aussi de l'index le bord de sa casquette pour souhaiter la bienvenue à l'étranger que je suis...
Michael me dit qu'on n'est jamais en peine ici lorsqu'on a besoin d'un coup de main. Il pense que cette solidarité à la fois joviale et taciturne est due à l'existence précaire que les îliens ont si longtemps menée...
Plus la vie est indigente et frugale, mieux ces bénédictions gaéliques
« Cent fois bien venu » ou « cent fois bon retour ») l'allègent et l'aménagent...
(Il n'y a pas sur l'île de grandes différences sociales.)
Ni nouveau riches, ni nouveaux honteux, peu d'envieux....
On est ici très conscient des avantages que présente cet équilibre et l'on s'oppose à ce qui pourrait le compromettre...
Les nouvelles du monde aiguisent, si besoin était, la curiosité naturelle des Aranais. Chacun se sent citoyen de l'univers.
Les gens d'ici sont fiers de leur île qu'ils ont littéralement faite de leurs mains et son excellence n'est simplement pas matière à discussion...
Cette île, le vent l'éteint comme une chandelle...
L'oncle connaît dans l'île des lieux – bien circonscrits - pleins de force, d'efficace et de bonté... C'est là qu'il faut aller se recueillir, demander, remercier...
Ailleurs, à l'église qu'on laisse un peu aux femmes, c'est du temps perdu....
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Savoir ce que ces lieux nous veulent est affaire de chacun...
Le clergé qui a toujours craint la nature (au procès de Jeanne d'Arc on lui a fait grief d'avoir dansé sous un chêne à la St Jean) fait ici figure de pièce rapportée avec accessoires et gesticulations superflus...
L'air d'Aran dilate, tonifie saoule, allège, libère dans la tête des esprits animaux qui se livrent à des jeux inconnus, hilarants...
Ici, j'en aurai très bien vécu pendant une semaine de jeûne absolu et de marches harassantes, dans une sorte d'ébriété ébahie...
Dun Angeus (la forteresse)
S'il fallait beaucoup de temps pour faire entrer quelque chose dans la tête d'un irlandais, il en fallait bien davantage pour l'en faire sortir...
J'imagine plutôt de ce « fort » un amphithéâtre pour intronisations solennelles, rituels saisonniers, ou pour ces assemblées de druides où l'on accompagnait le plongeon du soleil dans la mer...
Je suis venu ici avec un sel livre. Exprès. Le sentiment d'indigence, de vacuité, de nullité né de ce sevrage n'est pas une surprise mais un exercice salubre...
Ce livre unique est une anthologie des sagas celtiques dans leur plus ancienne recension.
Les irlandais sont les premiers à dire que leur histoire est faite de palidonies (rétractation de ses sentiments antérieurs / changement d'opinion) et de coups fourrés, ce que je ne crois qu'a moitié...
Je n'ai as trouvé trace ici d'un chauvinisme culturel...
Les gens d'Aran ne font pas davantage étalage de leurs saints qui ont pourtant christianisé la moitié de l'Europe. Je serais tenté de croire qu'ils les ont un peu oubliés...
Le monachisme primitif de l'Ouest irlandais s'est tant nourri des forces sauvages qu'il avait à combattre et à juguler que, pour l'Eglise établie, il a toujours senti le fagot...
Dans les îles, il est loin de tenir tout le terrain, ou plutôt, il a dû se mâtiner et s'enrichir de toutes les croyances et pratiques qui l'avaient précédé ici...
L'Outre Monde est lui aussi condamné à disparaître, avec ceux qui y croient encore...
Dans ces paysages faits de peu, je me sens chez moi et marcher seul, au chaud sous la laine sur une route d'hiver est un exercice salubre et litanique qui donne à ce peu – en nous ou au dehors – sa chance d'être perçu, pesé juste, exactement timbré dans une partition plus vaste, toujours présente mais dont notre surdité au monde nous prive trop souvent...
Jamais, en Irlande même, je n'ai éprouvé un sentiment de plénitude... quelque chose (…///...) d'incomplet comme une octave à laquelle manquerait une note...
Il suffit que la magnifique musique populaire irlandaise s'en mêle pour que ce malaise disparaisse mais, l'hiver, tous les musiciens vont sur le continent où ils gagnent mieux leur vie...
IL faut aussi rappeler que la grande famine de 1847 a vidé l'île de trois millions et demi d'indigènes...
Pour la musique je demanderai une autre vie qu'on me donnera, que je ne consacrerai qu'à ça...
A propos des îliens Synge décrit une vie incroyablement laborieuse et frugale...
Ici, dit-il, il y a une noblesse frustre... Ici, le surnaturel et l'étrange font partie intégrante des tracas quotidiens... La vie est un jeu de l'oie où l'on passe sans cesse du raisonnable à l'imaginaire qui est fort nourri, pris en compte...
Il ne faut pas se laisser abuser par l'extrême complexité de la mythologie celtique...
Ici, on n'a pas le temps d'enjoliver, on va à l'essentiel...
O appelle ici les « visiteurs de l'ombre » les « bonnes personnes », antiphrase qui devrait apaiser leur rancœur...