LES LAMENTATIONS DE LA VIEILLE DE BEARE IRLANDE ENTEE 8 et 9E SIECLE EXTRAITS BRAN DU 2018 26 11 NOVEMBRE
Les "Océanides" Illustrations de Bran du
Après le colloque sur le Féminin dans la société et la religion celtique, je propose ces extraits d'un texte médiéval anonyme irlandais (VIIIè ou IXè siècle), traduit du gaélique par Jean Yves Beriou, Derry O'Sullivan et Martine Joulia, lequel texte y aurait trouvé toute sa légitime place...
Les Lamentations de la vieille de Beare.
Pour Jean Yves Beriou ce texte serait une évocation de l'Irlande païenne ; une Irlande opposée à l'Irlande Chrétienne/ Il s'agirait alors pour le personnage central d'un personnage dérivé de la mythologie celtique, incarnation d'une déesse souveraine ou encore une personnification de l'Irlande elle-même...
Les lamentations étant prétexte à illustrer le débat entre la vieille Irlande et la nouvelle foi. »
Introduction Bran du:
Tout est flux et reflux dans les « marées de l'existence » ; et, ce que les grandes marées de l'Histoire ont refoulé dans les abysses de notre mémoire, des flots nouveaux et mythiques, les grands rouleaux archétypaux chargés du sel des origines et des primes naissances, viendront un jour ou une nuit se fracasser d'amour et de joie aux rivages de nos cœurs et sur les grèves ouvertes et offertes de notre esprit...
Les lamentations qui, dit-on, avec les pleurs et les gémissements, auraient été rituellement mis en œuvre par la déesse Brigit lors de la mort de son fils, peuvent se prolonger dans la pensée celtique, en « nostalgie » laquelle est comprise comme une « maladie de langueur » ; Conn en fera l'expérience après la venue de la femme de l'Autre-Monde l'invitant à la suivre ; ce qu'il fera d'ailleurs ne supportant plus son absence...
C'est le constat lucide ici des fastes qu'une Femme a connus au temps où sa beauté rayonnait dans le cœur de l'Irlande et des hommes de grande renommée ou de moindre renommée...
La vieillesse s'est abattue sur elle en la recouvrant des oripeaux de la décrépitude physique laquelle affecte son moral d'où l'expression de sa tristesse..
Il y a du regret dans cette voix qui tangue entre ce qui fut et n'est plus...
Mais, c'est aussi un constat quasi philosophique et une parenté mythologique qui s'expriment aussi dans ce récit poignant de réalité...
Manifestement l'un des auteurs à raison de faire l'analogie entre la fin d'une période faste de l'existence humaine et, comparativement, la disparition des fastes d'une époque et de l'esprit qui présidait alors en celle-ci avant que le carcan et le dogme chrétien ne lui passent leurs licous en avant-garde d'un dépérissement certain...
Il me semble que derrière ce texte se profile aussi l'évocation de l'année celtique avec la période sombre et hivernale personnifiée par la Vieille Femme hideuse et mourante des nuits de Samain et les Aurores de la Belle Saison rayonnantes de jeunesse et de beauté renaissant aux calendes de Beltaine...
Mais s'ajoute ici la règle de l'alternance régulière et non celui d'un reflux définitif !....
Lecture :
…///...
« Vous aimez l'argent,
mais pas les hommes ;
hier, quand nous vivions,
c'étaient des hommes que nous aimions.
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Oui, chariots, chevaux, victoires,
c'était pour nous une course sans fin ;
notre vie emportée en ce flux
béni le roi qui nous les accordait !
…///...
Jeunes filles, réjouissez-vous,
voici Beltaine qui s'approche ;
moi la tristesse me va mieux ;
outre de ma misère, je meurs de ma vieillesse.
…///...
La mer, je l'entends son immensité qui crie,
j'écoute l'hiver qui soulève ses vagues ;
homme libre ou fils d'esclave,
aujourd'hui, je n'attends plus personne.
…///...
Ravissante est la cape de verdure
que mon roi a jetée sur Drumain
Noble est celui qui la foula, noble son don ;
après l'étoffe rêche, voici la douce laine...
…///...
J'ai eu mon jour avec des rois,
à bore le vin et l'hydromel ;
désormais, je bois du petit lait,
encerclées de vieilles diablesses en ruine.
…///...
Je n'ai plus d’œil droit :
il a été vendu, et mon œil gauche aussi ;
au pays qui sera toujours mien,
j'ai acquitté les droits d'entrée. (1)
…///...
Vers la forteresse d'Ard Ruide,
se gonflent trois flots
flot de guerriers, flots de chevaux,
flot de lévriers, ceux des fils de Lugaid.(2)
…///...
Toutes ces vagues, celles du flux,
puis si vite, le reflux :
tout ce qui nous est ainsi accordé,
aussitôt, de nos mains se soulève et s'enfuit.
…///...
Toutes ces vagues, celles du flux,
et les suivantes, du reflux
toutes me sont venues,
je les reconnais toutes.
…///...
Toutes ces vagues, celles du flux,
que le silence de mon caveau annule !
Dans ma nuit, quelle théorie d'ombres !
Il y eu un temps, une main les bénissait.
…///...
Bienheureuse, l'île sur la mer immense :
reflux puis flux, une suite sans terme ;
mais moi, que puis-je escompter ?
Jusant est là, tout flux banni à jamais.
…///...
Aujourd'hui, je ne reconnais rien,
aucun lieu, aucun moment, rien.
Tout ce qui vint de par le flux, tout,
reflue, tout. Jusant me vient. »
Autres Notes Bran du :
(1) Ces pertes des yeux associées à une notion de « droit d'entrée » se retrouvent dans la mythologie scandinave et celtique avec Bran et Odin et bien d'autres personnages encore comme Fintan, dans le fait d'être borgne ou aveugle n'entraîne pas une disqualification, mais au contraire une surqualification....
Sur la base traditionnelle du « don et du contre-don », l'acquisition de dons et de talents s'acquitte, en contrepartie, par un don de la personne ainsi Odin offrant un œil afin d'avoir en retour la connaissance secrète des Runes etc...
Paradoxalement, mais mythologiquement, l'extrême voyance et compréhension des êtres et des choses s'acquière par la perte de l'organe censé symboliser et assurer la fonction visuelle...
Il n'y aurait donc pas de vision plus parfaite que ceux ou celles atteints de cécité totale ou partielle !
C'est donc que la « vue véritable » se passe et se situe à « d'autres niveaux » !...
Bien des bardes Celtes de renommée et de grands talents étaient « aveugles »...
(2) Lugaid :
Nom porté par de nombreux personnages légendaires de l'Irlande et par Lug (Lughaid) dans la littérature tardive. Beaucoup d'entre eux évoque le bras de Dieu...