"NATURE" UN TEXTE INAUGURAL D'YVAN LE BRETON PRESENT AUX ASSISES A VENIR 29 01 2024 JANVIER
Photo Yvan Le Breton
Yvan Le Breton "Nature."...Texte inaugural à la « causerie » qui se tiendra en sa merveilleuse présence lors des secondes Assises de la Druidité du 12 au 14 avril
Yvan exposera également ses photos « nature » lors de cet événement...
.......................
Nous vivons une époque cruciale, probablement unique et exceptionnelle. C’est, je crois, la première fois que l’humanité se sait responsable, au moins pour une part essentielle, de l’évolution négative des conditions de la vie sur notre planète ; un mot nouveau pour désigner cette puissance destructrice de l’humain, « l’anthropocène » : l’humanité comme puissance géologique globale, capable de modifier les équilibres des écosystèmes !
Le sol, l’air, l’eau sont pollués, notre alimentation s’en trouve dégradée ; notre santé, notre fertilité en sont fragilisées ; quant au feu, il se manifeste par le réchauffement climatique, d’une part, et par le nucléaire militaire et civil, d’autre part, sans oublier les guerres toujours atroces.
Un autre terme a vu récemment le jour : l’« éco-anxiété ». Aux tourments de jadis et de naguère, voici que s’ajoute l’angoisse née de l’effondrement de la biodiversité et des conditions naturelles de vie. L’humour noir tente – difficilement – de nous faire sourire, ou de nous alerter : « N’ayez pas peur de l’avenir : il n’y a pas d’avenir ! »
Le lointain passé, avec la Genèse, nous indique notre programme : « Remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! » ; plus récemment, Descartes nous rappelle et nuance ce programme originel : « Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Il semble que les humains, grâce à la science et la technique, aient bien obéi à l’injonction divine et philosophique, qu’ils aient accompli jusque dans la démesure le déploiement de leur puissance…
Bien sûr, nous mettre à l’abri des intempéries, des bêtes carnassières, faire reculer l’emprise des maladies, rendre agréable notre séjour sur terre par le confort corporel et la beauté des arts : comment ne pas s’en féliciter ! Mais l’ambition, l’orgueil, la cupidité, la volonté de domination, tout cela, poussé aux extrêmes et jusque dans la frénésie de la démesure, tout cela a conduit à la destruction de la nature, à obscurcir l’avenir de l’humanité, à rendre dès aujourd’hui certaines régions du globe hostiles à la perpétuation de la vie !...
Que s’est-il passé ? Permettez-moi de simplifier, et d’adopter un angle très aigu, pointu comme une flèche, pour aller au cœur de la cible. Nous avons, chemin faisant, transformé la nature en chose inerte, réduit la planète en espace d’exploitation forcenée, en ressources convertibles en puissance monétaire et pouvoir politique, chaque pays devenant concurrent-guerrier de tous les autres…
Résumons encore : nous avons dénaturé la nature ; en jouant sur les mots, je dirais que nous l’avons « dé-visagée », c’est-à-dire que nous avons cessé de voir son visage, et pire, nous lui avons violemment arraché son visage de vivante majeure ; nous avons désormais à l’envisager autrement, c’est-à-dire retrouver ou lui restituer son visage.
Nous avons cru avec un orgueil démesuré que nous étions « maîtres et possesseurs de la nature » : première erreur. Et deuxième erreur, nous avons cru qu’il y avait la nature, d’un côté, et l’humanité, de l’autre, oubliant une évidence qui se rappelle urgemment à nous : nous sommes partie intégrante de la nature ; la nature est la condition radicalement indispensable à notre existence, nous sommes « poussières d’étoiles » !…
J’en viens, si vous le permettez, à des considérations plus personnelles. Si j’ai été invité à vous parler aujourd’hui, c’est que ma relation à la nature est centrale dans ma vie, au point d’en faire des livres, des expositions, des « conférences-diaporamas », et de passer beaucoup de temps dans les forêts, le bocage, au bord des étangs et de la mer, et en montagne. Je pourrais dire, en souriant un peu, que la nature représente l’amour le plus fidèle de ma vie…
Pourquoi cette si longue aventure solitaire par les chemins écartés ? Je crois que tout a commencé très tôt dans l’enfance par étonnement devant l’infini des formes et des couleurs, des sons et des saveurs. Très vite cette diversité du vivant s’est transformée en admiration, en désir de connaissances et de rencontres.
Les oiseaux ont joué un rôle considérable parce qu’ils ajoutaient à la beauté du monde leurs voix enchanteresses, que ces voix emplissaient l’espace et me donnaient l’impression d’un monde habité, animé, par des êtres qui ne me laissaient pas seul, qui m’accompagnaient et me parlaient de manière reconnaissable, familière. J’ai donc rapidement connu et reconnu les oiseaux, me familiarisant avec eux. Au fond, la nature fut une apparition permanente, et un livre essentiel à déchiffrer, la source d’une poésie quotidienne.
Très vite, la reconnaissance, cette fois je veux dire la « gratitude » est venue s’installer durablement en moi, jusqu’en cet instant où je vous parle.
Je crois que la beauté de la nature m’a très vite enchanté. Et je tiens à dire que la beauté est une question absolument centrale, vitale même, qui nous concerne tous : comment ne pas aimer la beauté, comment oser porter atteinte à la beauté, n’est-ce pas un sacrilège ou une profanation que dégrader ce qui nous élève et nous met en grâce ?!...
Voici une définition, très modeste, de la beauté : elle est la vie-même portée à son comble ! Un chant de merle en avril, un fruit délectable au meilleur de sa saveur, une fleur stellaire au bord du chemin, la course rebondissante d’un écureuil, un ruisseau qui chante et danse sur les pierres, la bouleversante présence des étoiles en haute montagne, la majesté d’une futaie de hêtres couronnant la brume bleue d’une marée de jacinthes printanières… Liste non exhaustive car véritablement infinie !
Être conscient de cette beauté qui nous est donnée en surabondance devrait suffire, aurait dû suffire à inspirer la modération aux hommes, à suspendre leur frénésie. Jadis, Ronsard s’est écrié :
« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras ;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ? »
Nous n’avons pas arrêté nos bras, nous les avons bien au contraire démultipliés par des machines d’une puissance effarante : qui n’a pas frémi devant un arbre séculaire, puissant et vénérable, soudain fragile et abattu en quelques instants par une machine de métal !…
Dostoïevski fait dire à un de ses personnages : « La beauté sauvera le monde »… Je n’en suis plus très sûr. Il est vrai que la phrase est prononcée par le prince Mychkine, que l’on surnomme « l’idiot », parce qu’il ne respecte que les causes nobles, et délicates, même si ce sont des causes perdues d’avance…
J’ai jusqu’ici évoqué la nature sauvage, celle des oiseaux libres, des lièvres fugaces, des fleurs non domestiquées, des montagnes inaccessibles. Je voudrais parler aussi de la beauté des êtres que nous sommes, femmes et hommes, être de nature et de culture.
Là encore, impossible de tout dire : beauté si vivante des femmes, beauté des hommes, beauté de leur corps si bien manifestée par la danse en duo ; mais aussi beauté des regards et des paroles qui humanisent toute relation, qui donnent sens et joie dans la vie commune.
Je voudrais encore ajouter quelque chose qui est très difficile, ou très délicat à exprimer. Tout à l’heure, j’ai dit que la dégradation de la nature sans nul égard pour sa beauté était une « profanation », il faut pousser plus loin la logique des mots.
S’il y a « profanation », c’est qu’il y a du « sacré » dans la nature. Bien des fois, en différents endroits, j’ai fait l’expérience troublante de la proximité d’un mystère qui non seulement m’environnait mais s’épanouissait en moi ; juste un exemple parmi d’autres : devant un paysage de montagne d’une pureté poignante, assis dans les herbes qui bruissaient d’insectes pleins de ferveur, je me suis senti aux confins du sacré, aux confins du divin, totalement débordé par une émotion grave et sublime, et même une émotion douloureuse car tant de beauté excédait mes capacités d’accueil, comme si la beauté me dilatait le cœur et, si je puis dire, le déchirait.
Pour prendre une image, je dirais que la nature me propose parfois des « chemin[s] de Damas », ou des « cosm-unions », comme dirait Bran Du, qui me bouleversent, comme si le « sacré » – ou le « divin » – se manifestait à moi, humble voyageur sur la terre… Hélas, pas de miracle, mes pesanteurs n’ont pas disparu ; de ces merveilleux moments de grâce, je n’en fais pas forcément grand-chose, juste des photos et des textes, pour témoigner des merveilles de la nature.
Nature et Druidité :
Plusieurs rencontres tardives, mais très heureuses, m’ont mis en contact avec le monde de la druidité. C’est tout récent : la roue de l’année n’a tourné qu’une seule fois.
Si j’ai beaucoup parcouru seul les chemins sauvages, le temps est peut-être venu pour moi de rejoindre une tradition qui connaît, respecte et honore la nature, qui en retire une sagesse heureuse et salutaire, capable de sauver le monde !
Le temps est peut-être venu de rejoindre des hommes et des femmes qui cheminent et s’entraident, et s’efforcent de mieux s’approcher de la Joie, c’est-à-dire de l’Amour…
Je vous remercie !