POESIE JAPONAISE BASHO ET BUSSON 2018 INTRO BRAN DU
En compagnie de Zoé et de sa famille photo Bran du
Deux grands poètes japonais
Basho et Buisson
Introduction Bran du
octobre 2018
Ces deux poètes sont véritablement « frères » en poésie.
Bien que Busson n'a pas connu de son vivant Bashô, il voue à son aîné disparu depuis plus de cinquante ans une vive admiration au point de se rapprocher de lui à la fin de sa vie en reposant non loin de sa tombe...
Ils ont des parcours assez semblables, ils ont étudié la pensée japonaise et chinoise tant dans le domaine spirituel et religieux que dans le domaine philosophique et artistique. Ils ont trouvé dans le cheminement, la pérégrination, l'errance et le vagabondage, le souffle et l'énergie convenant à leur art d'être et de vivre et ce loin des conventions qui étouffent l'inspiration et la créativité...
La peinture en plus pour Busson, la Poésie représente pour les deux poètes l'Art de vivre par excellence... Même si cela implique un certain dénuement matériel et le refus des « honneurs » ou des titres... Ils font partie désormais des « vagabonds célestes » amoureux de la « route des nuages » et des « danses de la lune »...
En quoi leur œuvre nous interpelle et nous concerne nous autres « occidentaux » investis dans l'agitation permanente et stérile du cœur et de l'esprit ?
Pour ce qu'elle nous permet de nous « poser » enfin et de porter véritablement regard à ce qui est et à que nous ne savons plus voir ni entendre d'ailleurs...
Pour sortir de notre précipitation à paraître et de nos projections illusoires et factices afin de nous accorder l'attention et la contemplation qui s'offrent à nous en chaque instant et en tout lieu, afin de prendre conscience que nous ne sommes qu'un élément de la création parmi la multitude du vivant et que prendre conscience de ce vivant ; c'est se sentir pleinement en vie et accordé à la vie et à la multitude de ses manifestations plus extraordinaires les unes que les autres...
C'est retrouver la plus juste et humble place que nous assigne ce vivant autant singulier que pluriel, mais le plus souvent étonnamment vrai, juste et beau...
C'est une économie parmi les plus salutaires que de se retrouver en « cosmunion » avec les respirations premières et désencombrés de tout ce que nous avons interposé de façon superfétatoire entre nous et la réalité frémissante et émouvante de la vraie Vie...
Cela relève d'une connexion ou reconnexion directe, ; immédiate, sensible et intelligente, avec ce qui anime de façon essentielle et élémentaire, les êtres, l'univers et toute chose créée et à naître...
C'est boire directement à la source, porter ses paumes vers la bienfaisance d'un feu, chanter l'aurore qui se lève dans notre cœur, accueillir et serrer sur notre poitrine ce don ou ce visiteur généreux et aimant qui vient vers nous...
C'est poètes du passé japonais ne possède rien si ce n'est une façon d'être, de créer, d'animer et de vivre qui est le service même du vivant dont ils sont effectivement les fidèles serviteurs...
Ils ont fait choix d'une liberté qui engage toute leur responsabilité à être pleinement ce dont il aspire le plus ; c'est-à-dire à « être « vrai » dans le cœur battant et pervibrant du monde et des mondes »... (Ce qui nous rapproche grandement des enseignements premiers de notre propre Tradition !)...
Ils sont artistes, poètes, philosophes, sustentés de principes spirituels. Ils sont « religieux » c'est-à-dire qu'ils pratiquent et entretiennent le lien et la relation avec le divin et le sacré...
Ils sont avant tout « marcheurs » et pérégrins, visitent les hauts lieux de la méditation et de la contemplation et se baignent de corps, de sens et de pensée dans les éléments et au sein de la Nature qu'ils vénèrent plus que tout pour ce qu'elle leur procure de bienfaits...
Cette bienveillance et cette bienfaisance dispensées par la nature nous est restituée dans leurs poèmes lesquels laissent libre cours à tout ce qui en ruisselle. A nous d'y porter ou non notre vraie soif et la sécheresse de nos lèvres....
BASHO A Kyoto rêvant de Kyoto
Edition Moundarren
Traduit du japonais par Cheng Wing Fun et Hervé Collet
Bashô est né en 1644 à Ueno (non loin de Kyoto).
A 2O ans, il devient samouraï, mais il quittera cette fonction trois ans plus tard…
Il est éduqué selon les principes confucianistes.
Il étudie la poésie dont le Haikaï sous la conduite du poète Kigin (un prêtre shinto de Kyoto) et fréquente un cercle littéraire
Il part pour kyoto poursuivre et parfaire ses études notamment en ce qui concerne la poésie japonaise et le Haikaï.
Il entreprend la connaissance de la philosophie taoïste et fréquente les cercles poétiques de la capitale…
Il participe en 1667 à une anthologie de poètes puis fait publier sous son nom une autre anthologie de Haikaï appelée « Jeu de coquillages ».
Il retourne dans son village natal (Ueno) et apprend auprès d’un poète la valeur poétique de l’ordinaire et du quotidien. Il prend alors pour « nom de plume » celui de « Pêche verte » par admiration pour le poète chinois Li Po (Pêche blanche).
Des disciples se forment auprès de lui. Il prend un nouveau « nom de plume » Kukasaï (le studio du papillon » en référence à un sage et à un philosophe taoïste : Chang Tzu (lequel a rêvé qu’il était un papillon ou s’il n’était pas ce papillon en train de rêver qu’il était Chang Zhu !)…
En 1680 il s’installe au bord de la rivière Sumida à Edo dans une petite chaumière.
Un de ses disciples lui offre un bananier en pot qu’il replante à la porte de sa chaumière.
Il baptise alors son lieu de vie « l’ermitage du bananier » t prend le non de plume définitif de Bashô (Bananier).
Il étudie et pratique le zen (courant méditatif du bouddhisme).
Son ermitage est détruit par un incendie. Un autre est construit à Edo où Bashô et ses disciples s’installent…
« Il nous faut certes établir notre esprit haut dans le domaine de la vraie compréhension, mais de là ne pas manquer de retourner à l’expérience immédiate pour y trouver la vérité de la réalité. Quoi que nous soyons en train de faire à un moment donné, nous ne devons pas perdre de vue que ce que nous faisons est en corrélation avec notre nature profonde. Là réside la Poésie. !» Bashô
Vers 1684 : Bashô, dans sa quête poétique, spirituelle et philosophique n’a pas encore atteint sa pleine maturité.
Il pense alors que c’est en voyageant à pied, en se jetant dans la nature, qu’il trouvera sa nature véritable et son identité poétique.
En habit de pèlerin, vêtu d’une robe de moine, d’un kasa (chapeau de bambou tressé pour s’abriter du soleil et de la pluie) et de sandales de paille, le poète part avec son disciple vers l’Ouest (vers Kyoto) en empruntant la route de la Mer de l’Est (en longeant l’océan)…
Il va se recueillir en passant au grand sanctuaire shinto de Ise puis revient vers sa ville natale…
Il se rend lors à Yoshino site célèbre pour ses cerisiers en fleurs….
Il se rend à l’ancien ermitage du grand poète Saigyo (1118/1190) qui abandonna à 23 ans sa charge de samouraï pour devenir moine et mener dès lors une vie errante jusqu’à la fin de sa vie… On disait de ses poèmes qu’ils étaient d’une beauté et d’une limpidité quasi religieuses. C’est le poète auquel Bashô voue la plus grande admiration.
Il publie son premier journal de voyage. Intitulé « exposé au vent et à la pluie » puis « jour d’hiver » une anthologie.
Il retourne à Edo à l’ermitage du bananier…
C’est là qu’il a comme une « révélation ». (On peut parler de « satori » (selon le zen) soit d’un éveil transcendant, à la réalité évidente et immédiate. Ce que la poésie à charge de mettre en mots.)
Il comprend qu’il lui faut, par ses poèmes, exprimer « l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère.»…
En 1686 il publie « jour de printemps » puis part admirer la lune dans un célèbre sanctuaire shinto vers Edo.
Il entreprend alors un nouveau pèlerinage à pied…
Il repart pour une année sur la route de la Mer de l’Est…
« Je suis les traces d’ermites libérés de toutes attaches à la recherche d’hommes au talent authentique »…
« Les choses dont je prends note, j’aime les rapporter à autrui. C’est là l’un des plaisirs du voyage. »
« En matière d’art, il importe de suivre la nature créatrice, de faire des quatre saisons ses compagnons ? Il faut retourner à la Nature créatrice. »
1688 : retour à Edo. Publication de deux journaux de voyage.
Il prépare une nouvelle pérégrination vers le Nord profond cette fois. Il veut aller au bout de la route…
Friches est publié ; ce sera la troisième anthologie sur les sept éditées avec ses disciples…
« Dormir ainsi en voyage au milieu du vent et des nuages procure une sensation à la fois étrange et mystérieuse. »
« …devant la sérénité de ce beau paysage, j’ai le cœur comme clarifié. »
Ce sont pour Bashô cinq mois de voyage assez éprouvant.
A son retour sera publié le recueil : l’étroit chemin vers Oku.
Au début de l’année 1689 il se rend à Ueno à travers la route des montagnes.
Il séjourne dans un ermitage ( l’Ermitage de l’Illusion) a l’été 1690 sur les rives du lac Biwa
(Il s’agit toujours de vivre sans artifice, sans ornement, avec un cœur d’une exceptionnelle noblesse.)
« …Je médite sur le vrai et le faux… Des hommes je suis las… Je ressemble à ceux qui renoncent au monde…)
« Sans but précis j’ai tourmenté mon corps dans le vent et les nuages et n’ai point ménagé mes efforts pour saisir le sentiment des fleurs et des oiseaux. »
« …Le monde n’est-il pas une « Demeure de l’Illusion » ?)…
« Oubliant ma pauvreté, je peux jouir de la quiétude. »
1691 Publication de la quatrième et cinquième anthologie des poèmes de Bashô et de ses disciples…
« la Callebasse » et « Le Manteau de paille du singe. »
A 45 ans, il ébauche une vie « familiale », mais celle-ci lui sera vite pesante…
(Il s’agit de s’accorder au cours des choses, que ce cours soit favorable ou non. Il est illusoire et vain d’échapper aux griefs de la vie quotidienne.)
Publication de la 6è anthologie : Le sac de charbon.
A 50 ans le poète repart d’Edo et se dirige vers L’Ouest, mais tombe malade. Il décède en 1694 et est inhumé au bord du lac Biwa. Ses disciples plantent un bananier sur sa tombe.
Haikaï de Basho :
Chaque année
les gens retombent
dans les mêmes ornières
Année après année
le singe arbore
son masque de singe
A ce goutte à goutte de rosée
des souillures du monde flottant
puissé-je me laver
Le vieil étang
d’une grenouille qui plonge
le bruit dans l’eau
Voyageur
sera désormais mon nom
première averse d’hiver
Tant de choses
ils me rappellent
les cerisiers en fleurs
Dans la bruine
les roses trémières
éclairent le ciel
Au milieu du champ
libre de toute chose
chante l’alouette
Alentour
dans tout ce que le regard croise
fraîcheur
Allons regarder la neige
jusqu’à
en tomber
J’emprunterai bien pour dormir
sa veste à l’épouvantail
givre de minuit
Les nuages de temps à autre
accordent une pause
à ceux qui contemplent la lune.
Plus haut que l’alouette
dans le ciel je me repose
au sommet de la montagne
Après les chrysanthèmes
hormis le navet long
il n’y a rien
De moines et de liserons
combien a-t-il vu mourir
le pin vénérable
.....................................
Busson Le Parfum de la Lune Extraits
Editeur Moundarren
Traduit du japonais par Cheng Wing Fun et Hervé Collet
Né en 1716
Un « épicurien taoïste » accordé au cours des choses…
Il a profité pleinement des plaisirs de sa vie frugale…
Il est fils de fermiers. A 20 ans il se rend à Edo (Kyoto)
Il étudie la peinture et la poésie ; domaines dans lesquels il excellera…
(Et plus particulièrement en maîtrisant la forme brève du Haikaï où la liberté est à l’œuvre.)
Il étudie la philosophie chinoise classique, taoïste, confucéenne et bouddhiste.
A 26 ans il pérégrine dans la campagne. Il va sur les traces de Bashô « sur les chemins du Nord profond ».
Il se fait moine laïc.
Il revient à Kyoto 3 ans plus tard.
Son art gagne en maturité et renommée.
Il fonde une école de peinture…
« Peinture et poésie doivent être l’expression de l’accord de l’artiste au cours des choses et la manifestation de son chant intérieur. »
A 45 ans il se marie. A 54 ans, il prend le nom de plume de Yahantel (Papillon de nuit).
En 1772 est publié Lumière de la neige puis en 1773 « Dans les environs ».
En 1783 il tombe malade et meurt.
Un de ses disciples dira de lui : « Il a répugner à s’encombrer de conventions ; c’était pour lui une corvée que d’entretenir des relations avec les gens du monde.
Il a voulu rester libre d’agir à sa guise.
Busson : c’est la grandeur, la maturité poétique dans une complète liberté d’expression. »
La poésie et la peinture sont pour lui comme pour ses prédécesseurs une Voie, celle de l’éveil à une maturité profonde accordée au cours des choses.
Il a une profonde admiration pour le poète Basho.
Il propose à d’autres poètes de se retrouver à la « hutte de Bashô » chaque année au début du 4è mois (quand arrivent les coucous) et au 9è mois (lors du Brame des cerfs) pour rendre hommage à celui-ci.
« Depuis que Baschô nous a quitté
L’année n’a pas encore
Touchée à sa fin »
« L’essence du Haikaï est d’utiliser l’ordinaire tout en s’en libérant. »
Se libérer de l’ordinaire est chose la plus difficile qui soit.
Cela rappel cette pensée Zen ou koan :
Que fait le bruit d’une seule main en train d’applaudir ?
La poésie de Busson comme celle de Bashô est sous une forme raccourcie ramenée à l’essentiel de l’expérience poétique…
C’est le prolongement naturel de la grande tradition poétique chinoise (Li Po et Tu Fu au 8è siècle par exemple.)
« La grandeur du vieux maître (Bashô) me touche aujourd’hui plus que jamais. »
« Même malade comme je suis, mon attachement à la Voie, Reste au-delà de la raison et j’essaie de composer des haikaï. »
Busson sera inhumé non loin de Bashô…
Poème de Busson :
Partout autour les pruniers en fleurs
aller au sud ?
aller au Nord ?
Réjouissant
le bruit d’un petit oiseau
sur l’auvent
Indolent
je brûle de l’encens
soirée de printemps
Transférant la flamme de la bougie
à une autre bougie
soirée de printemps
Avec le pied
j’enlève mon pantalon
la lune voilée
Le porteur de montagne
pas un regard
pour les cerisiers sauvages
Posé
sur la cloche du temple
un papillon endormi
Fraîcheur !
le son de la cloche
quand il quitte la cloche
Un vieux puits
d’un poisson sautant sur un moustique
le bruit noir
Plus qu’aujourd’hui
à marcher dans le printemps
qui se termine
Nuit courte
sur la chenille
des gouttes de rosée
Nuit courte
au gué subsiste
un morceau de lune
Nuit courte
la pivoine
a éclos
Quel bonheur
de traverser la rivière d’été
les sandales à la main
Lune froide
le gravier crisse
sous la chaussure
Quand le vent souffle de l’ouest
les feuilles mortes se rassemblent
à l’est
La pluie d’hiver
silencieuse sur la mousse
me reviennent les choses du passé
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