Réflexion rapport à la mort fev 2013
REFLEXIONS BRAN DU février 2013
Rapport à la mort…
A François MALTRUD embarqué pour l’eau de là le 15 février 2013
« La vie Naît de la mort » Patrick PEARSE (Pâques 1917)
Fermez la boîte…
Refermez la boîte où repose mon ami
Refermez le couvercle, c’est fini…
Car dedans, il fait tout noir, et puis, il n’y a plus rien à voir…
Refermez la boîte où repose mon ami
Car la Lumière, toute la Lumière est partie
Loin bien loin, avec lui…
Si vous voulez le revoir ;
Regarder le ciel cette nuit
Ou bien demain encore dans la journée…
Regardez bien vous le verrez passer…
Là cette trouée, cette éclaircie, cette neuve clarté, ce sera lui…
Si vous le voulez, vous pouvez lui faire un signe de la main…
Enfin, c’est à chacun de voir, à chacun son au-revoir,
A chacun son souvenir, à chacun sa forme de mémoire…
A chacun de croire, d’entretenir ou de verser dans l’oubli…
En attendant, refermez la boîte où repose mon ami
Et allons voir du côté ci de la vie…
Ecoutons ce qu’elle nous dit du rapport à la mort
Et de la façon dont elle lui tient compagnie….
Retrouvons doucement l’essor, redonnons-nous envie ;
Vivons plus beau, plus fort, plus vrai aussi,
De ce côte où la mort même nous fait hurler de vie !…
Les cimetières ne sont pour moi que des quais d’embarquement…
Derrière la mise en terre, c’est le désert des grands absents…
Ne restent que des os et des chairs croupissant dans la vasière du temps…
Le bois que l’on brûle rituellement restitue son essence, ses flammes mêmes se font encens…
Ce n’est plus qu’un immense offertoire, qu’un ultime sacrement…
Que l’humain redevienne humus et terreau, terre fertile pour demain, me semble bien, me correspond exactement…
La cape fleurie de Brigh recouvrira au printemps toute la terre…
Du long deuil de l’hiver il ne restera plus rien, sur toute blanche s’épanouira un chant…
De la ruche ancienne s’envolera l’essaim en quête de royaume et de reine…
De toute forme de mort resurgira la vie, profuse, jouvencelle, souveraine…
Et la lumière, qu’elle soit sève, songe ou sang, sera comme le lait d’une Mère….
Quand le corps s’éteint, mouche sa chandelle, s’envolent les dernières étincelles,
La dernière lueur qui rejoint le foyer éternel de la Flamme première…
Celle-ci brûle à dessein pour frayer chemin à l’Ame qui se conjoint au foyer du ciel…
La Lumière retourne à la Lumière comme l’Amour à l’Amour, l’Energie à l’Energie…
C’est la ronde sans fin, le cycle infini… Et cela me convient… Et cela me convient…
Lors refermez la boîte où repose mon ami ;
Laissez là avec ces autres boîtes des temps anciens…
Demain est déjà là où je marcherai de nouveau avec lui
Dans la Lumière de ses matins, sous les étoiles de ses nuits…
Si le cercueil à son caveau
Dans mon cœur se tient au chaud
La douce présence de mon ami.
……………………………
La mort… C’est le revers de cette monnaie que l’on appelle la vie…
Le prix à payer pour l’autre face de l’existence, pour rétribuer le passeur qui va entre les rives…
C’est aussi ce que André BRETON désignait du terme « d’Initiation suprême »…
L’accès au Mystère des mystères…
C’est la base de tout questionnement élémentaire, l’estuaire qui nous invite, tout l’océan et ses abysses confondus, à remonter à la source… On ne saurait faire l’impasse sur cette interpellation majeure qui a, certes, pour vocation de nous plonger dans l’obscurité et le chaos, mais ce, afin que nous ayons, au préalable, su faire surgir et briller en nous quelques lumières, allumer quelques flambeaux…
Toute naissance met au monde le principe même de l’extinction…
Le malaise le plus profond provient d’une négation de cette ultime destination, du refus à envisager notre disparition et donc de cette tendance réellement suicidaire et en cours d’apogée, à exclure, à évacuer, à masquer, à dissimuler, tout ce qui pourrait rappeler de près ou de loin cette emprise « mortuaire »…
Un être humain comme les sociétés humaines se doivent de se confronter sereinement, lucidement, audacieusement aux visages de la mort car en ces visages figure le miroir resplendissant de la vie et de ceux et de celles qui l’épousent et la servent…
De la « qualité » du rapport à la mort dépend grandement notre « qualité » d’être vivant !…
Tous les morts crient en des langages divers : « - Vivez ! Vivez ! Vivez densément, intensément, jusqu’à votre heure dernière ! »… (Que votre dernier souffle rejoigne le premier afin que la boucle soit bellement bouclée !)…
Bien entendu savoir qu’il nous faudra mourir, que notre présence en ce monde connaîtra tôt ou tard une fin inéluctable est de nature à susciter et entretenir une réelle angoisse, mais nous ne pouvons nous opposer à cela, à cette « déchéance de notre substance vitale »… Nier l’évidence fera que notre vie perdra ses rondes et ses danses !…Paradoxalement cette « vision » peut tout au contraire nous amener à méditation et réflexion et amorcer en nous un cheminement où la pensée se fait peu à peu sagesse, entendement et compréhension…
Il est vrai cependant que cette sagesse que je fais mienne et que je cultive efficacement pour mes propres résolutions se trouvera violemment confrontée à la mort de l’autre, des autres et ce, sur une autre échelle de résolution bien plus difficile à mettre en œuvre…
Vouloir vivre dans la négation de la mort est une idée invivable pour le commun des mortels !
L’éternité ce n’est pas, corporellement « ici et maintenant » bien que cela soit cependant dans l’instant où nous comprenons qu’il y a « d’autres dimensions », d’autres plans, possibles qui échappent à la rationalisation d’un constat d’évidence… Mais que ferions nous réellement d’une éternité disponible ici bas ?… La vie ne deviendrait-elle pas à la longue un mortel ennui ?…
Faire face à la mort en attendant comme Cocteau de passer à travers le miroir c’est faire acte d’acceptation, non pas de résignation ni de soumission, mais bien d’acceptation… Accepter de cohabiter avec elle sans pour autant lui concilier un espace et un temps inappropriés ni entrer dans un jeu de séduction morbide…
C’est la seule attitude, le seul comportement hyper-réaliste qui soit et qui vaille en l’occurrence et en ces circonstances… Vivre dans une certaine proximité avec elle sans lui faire du rentre dedans…
Le monde Celte ne craignait pas la mort ; la mort ne lui faisait pas peur bien qu’il n’ignorait rien d’elle… Les rois et guerriers celtes préféraient la mort à toute forme d’esclavage… La vie peut-être bien des choses, mais certainement pas un esclavage, ni une servitude, ni un assujettissement et encore moins un renoncement à vivre en toute liberté, conscience et responsabilité…
La mort drapée dans le suaire de la peur et de l’ignorance n’a qu’un ennemi, mais de taille : la connaissance et ce qu’elle produit de capacité et de faculté pour lui résister et, en dernier ressort, pour s’en faire une alliée ; en tant que passeuse de rivages ou barque du Ponant !…
La mort n’était pas un terme inéluctable, une échéance ultime mais un lieu de passage obligé…
L’âme bretonne est pétrie de cette notion et cohabite assez intimement avec elle…
Il est vrai, toutefois, que la religion chrétienne à lourdement insisté sur ce thème en y mêlant abondamment craintes et effrois soit toutes sortes de manipulations mentales rendant à maintenir les brebis dans le giron protecteur de leur divin berger… Bien des prêtres et évêques ont enfoncé dans le bois de la croix les clous de le peur et ce, sous forme d’excommunications et d’enfers froids… Les missions se sont succédées représentant, tableaux des plus noirs après tableaux des plus sombres, tous les affres promis à ceux et celles qui se sentaient de nouveau appelés par un sentiment païen ou qui oubliaient les saints préceptes de la Mère Eglise…
Malgré ce conditionnement voir ce formatage clérical, l’Ame bretonne n’est pas particulièrement peureuse. Même si l’Ankou annonciateur hante les chemins creux et fait grincer sa charrette dans les ornières de décembre, on sait qu’il vaut mieux se préparer à sa visite que barricader son penty…
Il nous est rapporté maints témoignages de Celtes bravant les avancées de la mort, allant au devant d’elle… Ils se lançaient, nus, dans les vagues déferlantes, se jetaient dans la houle noir et rageuse des marées d’équinoxe… Les eaux représentaient pour eux le point de passage nécessaire pour rejoindre et pour accéder aux îles d’éternelle jeunesse, à la Plaine des jeux, des femmes et des plaisirs… au Tir na n’Og… Face à l’Ouest et au Nord, ils précipitaient leur proue humaine, leur voile hauturière, vers les deux phares jumelés de leur croyance, confiance et espérance…
Selon ce qu’en rapporte un observateur de cette époque (Lucain) « La mort n’était pour eux que le milieu d’une très longue vie »… Il était convenu par ailleurs qu’une dette contractée sur terre pouvait très bien se solder au ciel !…
Respect et considération oui, peur, crainte, appréhension, non… Ainsi se concevait alors ce « rapport à la mort » dans les temps celtiques… On ne saurait en dire autant de notre temps moderne o combien septique et englué dans ses artefacts et autres artifices consuméristes inféodés à la matérialité ambiante!…
La mort s’accompagne dans les sociétés traditionnelles alors qu’on l’évacue en notre « modernité » !
Il y aurait beaucoup à dire sur cette volonté sociologique d’une demande d’incinération progressant à un rythme phénoménal depuis une trentaine d’années… On ne peut mettre ce revirement dans des conceptions aussi majeures que celles qui envisagent la fin de vie sous cette nouvelle forme en ne prenant pour explication que des considérations bassement économiques !…
Ce changement récent dans notre histoire est des plus conséquents et devrait grandement nous interpeller… Ce ne peut être une décision prise à la légère… Quoi qu’il en soit la société n’est pas prête à gérer cela et les familles n’ont plus qui délèguent à des entreprises de pompes funèbres l’encadrement formel et institutionnel voir pseudo ritualisé de ceux et celles qui optent pour la crémation de leur corps… Résultat le plus fréquent hélas : des communautés désemparées et des cérémonies expédiées au plus vite !
La mort dans les hôpitaux bordés d’indifférence ou trop préoccupé d’autres maintenances du fait de manque d’effectifs s’inscrit aussi dans ce constat d’une « perte d’accompagnement »… On meurt et on mourra de plus en plus seul !….
On meurt aussi chez soi il est vrai mais parfois d’une canicule qui révèle dramatiquement le désert relationnel dans laquelle des humains cohabitent dans un même immeuble parfaitement étrangers aux uns et aux autres… Nul oasis en ce désert humain !…
Plus ce rapport à la mort devient déplorable et plus la vie en est affectée !…
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Le « rapport à la mort » est une affaire hautement et profondément individuelle… Gérer la perspective de la sienne demande déjà bien des investissements, mais gérer celle de l’autre ou des autres demande bien davantage…
La perte d’un proche (parent, ami…) est toujours une épreuve parmi les plus douloureuses ; une épreuve ponctuée de colère, de refus, de révolte, de rébellion, de sentiment d’iniquité contre ce qui s’autorise à nous rendre cruellement orphelin d’une présence aimée…
Le tonnerre de la colère éclate et zèbre l’espace d’éclairs injurieux… Puis le tonnerre s’éloigne de notre terre dévastée où se répandent des larmes d’impuissance… Larmes bienvenues dans l’exutoire d’une souffrance débordant d’une chair qui ne peut plus la contenir et qui répand positivement et bénéfiquement à l’extérieur son trop plein…
Nous n’avons en ces douloureuses situations que le recours au temps et à la distanciation, que la nécessité de retourner esseulé et démuni dans l’agitation de la vie…
Nous serons encore ébranler sur le socle de notre existence qui ne pourra jamais combler le « vide » créé en nous… Il nous faudra retrouver « raison de vivre » !…
Je n’élude pas, n’évacue pas, ne crains pas mon propre « rapport à la mort »… Je souhaite, j’espère aborder ce seuil avec le maximum de sérénité, mais je sais aussi que mes facultés peuvent me lâcher et que je peux ne plus être à même de garder en main et en conscience mon propre gouvernail et de ce fait ne plus être en mesure de garder, de conserver jusqu’au bout la dite sérénité…
Aussi je me dis qu’il me faut déjà me préparer à ce passage car je n’en aurai peut-être pas la possibilité de le faire dans de bonnes conditions selon la nature et la forme de disparition qui sera alors la mienne…
J’ai pour aide, soutien, accompagnement la chance de disposer d’une TRADITION et de ses enseignements majeurs qui m’aident à projeter cette échéance en me laissant totalement libre d’en concevoir les modalités, formalités et convenances à la fois dans sa finalité corporelle et ses prolongements spirituels…
Cette Tradition issue de l’héritage celtique et indo-européen m’apporte en effet les éléments me permettant d’aborder une fin en ce monde et des perspectives en d’autres mondes…Et ce selon des conceptions que je fais mienne où que j‘adapte à mes entendements, en toute liberté, conscience et espérance…
Une Tradition, si elle ne nous aide pas, à vivre, à aimer, à créer, à œuvrer, à accompagner et soutenir, à maîtriser et harmoniser, tant nos rapports internes à nous-mêmes qu’extérieurs à notre personne ; si elle ne nous aide pas à mourir et à espérer, ne saurait remplir son rôle fondamental, ses fonctions essentielles, n’apporte ni recours ni secours, se doit d’être remise en cause et pour le moins rangée dans le placard de la duperie et de la tromperie à côté des ustensiles inutiles en leurs usages et emplois…
Une Tradition digne de ce nom se doit de nous aider à « domestiquer » en quelque sorte la mort afin d’allumer en nous la plus libre et fertile flamme de vie qui soit…
Ce qui vaut pour moi-même et qui n’exclut pas des remises en question lors d’événements tragiques ne vaut pas pour celui ou celle qui quitte la sphère précieuse de notre amour ou amitié et ce, d’autant plus, si le défunt n’a exprimé aucun point de vue sur l’idée et les conceptions qu’il se faisait de sa propre disparition… Comment en effet accompagner quelqu’un qui se voulait nu d’espérance, indifférent de son sort après la mort ?...
C’est en cela que la perte de l’autre présente bien plus de difficulté à « gérer » , à « accompagner » par rapport à ce que nous avons envisagé pour la nôtre …
Il nous faudra quoi qu’il en soit passé d’une réaction tempétueuse et tourmentée, mettant la pensée à vif, à des phases progressives d’apaisement et de maîtrise…La réaction seconde, pondérée, assagie, remplacera, peu à peu, la réaction première…
C’est ainsi que s’effectuera dans le temps et l’espace le travail dit de « deuil » qui correspond à une phase alchimique d’acceptation qui transformera le matériau « colère » en plans plus subtils distillant leur sagesse…
Une certitude ; la véritable mort, c’est l’oubli !…
Plus nous laisserons à l’extérieur de nous-mêmes cette part de nous-mêmes qui n’est plus et plus cette présence se fera absence et plus l’éloignement se creusera et plus l’oubli s’emparera de l’image aimée…
Il peut être bon, nécessaire, salutaire parfois d’oublier tant du point de vue psychique que biologique ; l’oubli peut grandement participer d’une phase de « guérison »…
Mais il y a aussi une autre nécessité tout autant bénéfique, c’est celle qui consiste à conserver en sa mémoire et en son cœur et ses pensées, une image, une figure, un nom avec lesquels nous ne saurions rompre définitivement un précieux et émouvant lien d’amour ou d’amitié…
C’est-ce que j’appelle le « transfert » ou « l’incorporation » faisant passer le souvenir de l’extérieur à l’intérieur de nous-mêmes… Ce qui était dehors et sujet à tous les éloignements se retrouve dedans choyé selon les instants que nous voulons et souhaitons lui accorder…
Ainsi se retrouvent de temps en temps et se côtoient près de l’âtre, du foyer de mon cœur et de mes pensées, les êtres aimés qui me réchauffent de leurs présences et que je réchauffe de ma « resouvenance »…
Rébellion - Acceptation - Transfert en l’intériorité…. C’est là un schéma pouvant aboutir par transition et étapes à un retour sagement équilibré entre passé, présent et avenir…