Samain ou les Lamentations d’automne et la traversée victorieuse
Bran du
2010
Vertes les feuilles que le printemps fit éclore… Rouges maintenant, en parure de mort, les feuilles du beau temps…
Arbre, je suis, dénudé jusqu’au cœur… Triste est mon âme de ces reflux en mon corps…
Les riantes marées se retirent, le dernier soleil rentre au port de l’hiver…
Me voici portant le deuil de l’été… La froide saison est venue et roussissent les fougères…
Me voici, ployé sous le ciel, perdant la jeunesse de mes vives couleurs… Fané, je suis, comme sont fanées les dernières fleurs…
Me voici exposé à la fureur des vents et aux longues morsures qui vous glacent le cœur…. Ma sève s’est retirée en d’obscures profondeurs et mon aubier s’endort sans sève à circuler….
Que me reste-t-il de sang, de souffle, de respiration, de vigueur, pour subsister en la noire saison dans l’attente de la nouvelle lumière ?
Sous la voûte de pierre enchâssée d’azur, j’avais compagnons aux lèvres profuses… (Vagues ourlées d’écume se brisant sur les grèves du silence…)
Sur la roche polie par les siècles, la parole circulait en un tourbillon d’éloquence… Sage et folle, folle et sage, la poésie dansait, épousait la Spirale de la Vie… Les bardes, mes frères, partageaient avec moi un même lit d’étoiles alors que nos cœurs en enivrés hissaient au grand mât leurs voiles…
En ces temps là, la paume rouge et fraternelle de l’amitié frappait la poitrine d’un même songe, des lèvres fruitées échangeaient des mots de feu et de lumière…
Aujourd’hui encore, le serpent est à mon cou qui brille de cinq écailles…
Rouge est la vache qui allaite le monde, qui donne son lait aux enfants de l’aurore… Rouge puis noire, la vache rentrée dans l’étable profonde des longues nuits… Noire puis blanche, la vache qui pâture dans les prairies lactées du ciel…
L’obscurité fomente des razzias, prémédite des conquêtes…
Le grand taureau veille cependant (son sang répandu dans le fond du chaudron)…
Que les Déesses s’avancent, poitrines nues, vers l’ennemi qui fait saigner le jour !….
Puisse la Force me reprendre en son Souffle, puisse le Souffle remodeler l’argile de mon nom
Puisse la Souveraine reforger les roues de mon char de naguère et me confier la baguette de paix…
Qui m’ouvrira le sombre passage, sous la coulée des flots, sous le manteau des feuilles mortes ? Qui pour fendre, qui pour échancrer la nuée sans clarté, qui pour me hisser au-dessus des brouillards ?…
Ni royaume, ni souveraineté pour celui-là qui tremble dans la barque du Voyage ; ses os demeureront dans le marais putride, dans le froid et le gel, dans la vase d’oubli, abandonnés qu’ils seront par les feux de la vie….
Absent sera son nom au banquet des braves et des héros. Point de chant, point de récit pour lui… Ainsi en est-il pour la proue qui se refuse à étraver les flots…
Puissent les Dieux partager ma coupe d’hydromel et renverser avec moi la mousse de sureau sur la table du banquet, sur les rires pourpres du festin… Puissent les mets partagés leur être agréables, puissent le muscle d’entendement sceller le pacte d’amitié…
Puissance des mains et bars de fer, l’été et l’hiver s’empoignent pour demain…
La Force en moi, plus brûlante que le vin…
La Force et la Connaissance ; la Connaissance et son devin ; la Force qui est Lumière…
Trois boucliers sur ma poitrine, trois lances à mon poignet, trois éclairs pour zébrer mon front…. Au-dessus de moi : Trois rayons…
Nommant la Force, Celle-ci m’enserre par la taille, s’enroule à mes jambes, circule en mon sang… Initié je suis aux assises du Nord…
La Femme à fait armure de toutes mes pensées. La peur recule devant mes avancées…
J’irai, plus avant, j’irai, avec l’œil perçant du faucon, l’œil affouillant de l’aigle… Dans le courant je remonterais vers les frayères des primes naissances… Saumon aussi je serais… Je reviendrai dans le vif du monde. Je danserais ma ronde dans l’écume des océans…
Lors, j’ouvrirai le passage dans l’abrupte falaise de l’an…
Je pousserais au sommet de ma vague les trois cris lumineux et sonores…
Et mon chant, et mon cri vous hisseront sur l’Autre Rive….