SHAMAN SONG (SUITE) 2019 BRAN DU 16 09 SEPTEMBRE
Shaman Song (Suite) Bran du
Septembre 2019 (En Aveyron et Corrèze)
Neuf jours....
Je sais, je pratique l'écriture blanche des bouleaux qui font encoches dans le ciel...
J'ai neuf mondes tracés sur l'écorce de ma peau...
Je sais l'alternance, je sais la passation...
Je sais la rumeur bruissante dans les étages de brume...
Je sais le cuir, l'écaille ou la plume qui me viendront en aide si j'en appelle correctement à eux, si offrandes recevables sont mes mains et mes paroles, si mon chant est aussi pur que la glace bleue du printemps...
Dans son costume bardé de fer et de sonnailles, un homme frappe sur un tambour. Il est muni d'un long os de renne...
Il perce l'espace avec le harpon de ses mots ; la flèche de sa langue traverse de part en part le troupeau des nuages ; Elle monte comme une flamme vers le foyer de lune et de soleil...
Une âme voyage sur les ailes d'une oie sauvage...
Où s'en retourne-t-elle ?
L'âme de la vieille est partie enfiler son manteau de neige ; son ombre glisse sur la banquise ; un ours blanc a senti son passage...
Mère-Baleine, toi qui sais le profond des êtres et des choses, que sais-tu, dis moi,du berceau de la Lumière ?...
Celui-là qui fait résonner de son os le cœur de la forêt, les poumons de la Taïga, n'en sait pas plus que moi qui jeûne depuis trois fois neuf jours....
Neuf jours pour contraindre les Forces et les Puissances d'en haut...
Neuf jours pour contraindre les Forces et les Puissances d'en bas...
Neuf jours pour concilier les unes et les autres !....
Et cela pour donner à mes yeux de voir ce qu'ils n'ont jamais vus...
Et cela pour donner à mes oreilles d'entendre l'inentendu...
Et cela pour comprendre ce rêve qui fendille ma carapace d'homme...
Il manque un chien au traîneau des jours et des nuits...
Mes rêves n'avancent plus enveloppés qu'ils sont dans le blizzard, dans la tourmente blanche et glaciale...
Mère-Baleine, montre-moi le Nord que je puisse retrouver la Piste de Mémoire, le Son Premier venu de la Racine de Vie, le cri lancé dans le matin des mondes......
Enveloppe mes songes comme l'épaisse fourrure enveloppe l'enfant qui vient de naître...
Chante-moi le chant que les mères chantent quand elles donnent le sein au petit de l'Homme...
Neuf jours, je me suis abstenu de toute nourriture, neuf jours dans le Cercle des attentes, neuf jours à décompter les perles de ton collier de nuit...
Neuf jours pour contraindre les Forces et les Puissances d'en haut...
Neuf jours pour contraindre les Forces et les Puissances d'en bas...
Neuf jours pour concilier les unes et les autres !....
Et cela pour donner à mes yeux de voir ce qu'ils n'ont jamais vus...
Et cela pour donner à mes oreilles d'entendre l'inentendu...
Et cela pour comprendre ce rêve qui fendille ma carapace d'homme...
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Lamentation du Vieil Homme...
La glace fond au printemps et part à la dérive dans le grand océan...
J'ai deux grands garçons mais point de filles...
Ils sont partis avec leur cheval à moteur, ils ont délaissé la flèche et le harpon, leur kayak se fend au soleil d'été (depuis des lunes, il n'a plus été graissé.)...
Les oies reviennent chaque année, leurs cris sont les bienvenues...
Mes garçons, eux, depuis sept années, ne sont pas revenus...
Je chasse encore mais ma souplesse n'est plus tissée de force, de patience et d’agilité. Je n'ai plus la même vue que celle que j'avais dans mon jeune temps...
Mes âges, fermes, durs et agiles, eux aussi ont fondu et mes rêves ne savent plus à quelle étoile s'atteler...
Le Nord n'est plus ce qu'il a été !....
Hier, j'ai pris un brochet dans mon filet ; la vieillesse, elle, m'a prise dans sa nasse ! Mes jours depuis lors rétrécissent !...
La lagopède ne craint plus mes approches, l’œil est flou et la main tremble !....
J'aurais bien des histoires à raconter alors que brûle l'huile de phoque au-dessus de l'assemblée, mais les oreilles se sont envolées vers la ville de verre et d'acier...
Qui alors pour entendre les récits du vieil homme ?
Qui pour faire résonner le rire des ancêtres ?
Qui pour dire, pour rappeler, la Femme de Lumière et sa peau luisante de poils et d'écailles ?
Les mots aussi ont fondu et dérivent, morcelés, fragmentés, dans les veines bleues et glacées du Monde Blanc...
Que l'on me donne l'aiguille faite avec un os que je puisse recoudre la peau usée du temps, que je puisse percer le cuir des anciens âges et relier ce qui fût à ce qui est et sera... Sinon ce monde dit "moderne" s'en ira errer le cul nu dans le grand vide de l'espace !...
A suivre...
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