NOUVELLE : UNE ENFANCE AU "VAL" 3/3 (AVRIL 2013)
L’Ecole des sœurs ; la « Communauté », n’avait que deux classes pour tout le « primaire » et mademoiselle Toussaint, une « laïque », s’occupait des plus jeunes dont je faisais partie ; lesquels occupaient le fond de la classe… On essayait d’imiter ce que faisaient les plus grands. A part cela on ne faisait pas grand-chose… L’établissement des religieuses disposait d’une immense véranda qui courrait tout le long du bâtiment lequel donnait, en première loge, sur la plage du Val…
Aussi, je ne fus jamais éloigné de mes territoires de prédilection et je pouvais, à chaque récréation, poursuivre ma lecture attentionnée du rivage…
Je savais, en observant les mouettes piquer dans les flots à tel ou tel endroit, que les bancs de « menuses » (jeunes sardines ou lançons) se déplaçaient vers les Murs Blancs ou dans l’anse du môle… Je pouvais voir, si le vent était tombé, les maquereaux chasser la dite « menuse » car je lisais les moindres agitations sur l’onde étale des eaux…
Plus au loin les bateaux d’Erquy ou de Dahouët chalutaient dans la baie…
La direction des vents me donnaient de précieuses indications sur le meilleur endroit où lancer ma ligne sans qu’elle soit rabattue ou qu’elle perdre beaucoup de fil… Les algues dérivantes constituaient aussi un élément d’appréciation ; en anticipant sur leur destination à venir, j’étais certain de me poster là où je ne risquais pas de ramener avec la cuillère (une Yann 50 g avec triple crochet) un tombereau de « salades »…
Tout était prétexte à lecture et à interprétation. Je me sentais régent de mon domaine dont je connaissais selon les secteurs chaque roche, chaque mare, chaque anfractuosité… Ma pêche était programmée en tenant compte du reflux et des zones qui seraient découvertes… Je commençais par la recherche des bigorneaux dans les coulées de galets encore humides puis je m’attaquais aux "bouquets" et autres crevettes dans les mares peu profondes… Venait le moment de traquer les premières étrilles tout en ramassant les palourdes, les coques ou les praires… L’étape suivante demandait plus d’efforts, plus de pratiques et de connaissances ; c’était celle réservée aux oursins, aux ormeaux, aux caches à homard…
La baie, j’en avais une assez bonne connaissance, mais vue du rivage, de la côte… Jusqu’à mes 12 ans, je n’avais pas encore navigué. Mon expérience débuta un jour d’été particulièrement calme et chaud où la mer, dans l’anse du Verdelet, s’était transformée en étang paisible… Avec deux autres hardis navigateurs, nous avons mis à l’eau… un canoë… La traversée vers l’île fut assez facile. C’était la première fois que j’abordais celle-ci autrement qu’à pieds lors des grandes marées…
Nous étions des explorateurs abordant une contrée mystérieuse avec le sentiment d’être les premiers découvreurs d’un continent inconnu… L’imagination allait bon train nourrie des lectures de Jules Verne et de Jack London…. Nous avons fait cuir des crabes verts (des cranquets) dont le goût, en dehors de leur emplois dans la soupe, est loin d’être très raffiné…La chasse aux indigènes n’ayant rien donné et l’heure de la remontée approchant, nous avons remis le canoë à la mer pour rejoindre la jetée de Piègu… Et c’est là que commença vraiment l’aventure car nous avions pour le retour un fort courant à franchir avec nos seules pagaies et la force cumulées de nos bras…
Nous n’avons pas fait dix mètres que ceux-ci étaient reperdus presque aussitôt ; le dit courant nous poussant au large vers la pointe d’Erquy en faisant singulièrement monter l’angoisse à bord… (Notre famille ignorait notre périple aventureux !)… La peur fait redoubler le courage dit-on et cela s’avéra tout à fait exact… C’est propulsé par une crainte très justifiée que nous avons franchi, tous nos muscles bandés, le corridor périlleux pour rejoindre le havre de paix tant désiré et ce, sous le regard bienveillant de la statue de MR Charles Cottard ingénieur en chef et « créateur » de la station balnéaire du Val André dans les années 1900. (Une statue régulièrement barbouillée l'été de peintures diverses de la part des "parigos" en mal de facéties...)
Nous nous sommes bien gardés de faire état de notre mésaventure à quiconque, les graves conséquences qui auraient pu tragiquement en résulter suffisaient à justifier notre silence unanime à ce sujet…
Ce n’est que bien plus tard et dans le souvenir revenu que l’on prend conscience d’avoir vraiment frôlé la mort… Et cela génère alors et avec retardement, comme du froid dans le dos !…
La mort, je l’ai côtoyée les premières fois sans trop me rendre compte de ce que cela était lors de l’enterrement d’oncles ou de tantes que je connaissais assez peu…
Il y avait un protocole immuable à suivre que j’observais avec respect et attention : La toilette du corps, son « endimanchement », sa veillée, le défilé de la famille et des voisins, le rameau béni, les deux cierges allumés, l’égrainement des chapelets, les voiles des femmes toutes enveloppées de nuit, le goupillon du curé, les enfants de chœur, l’entrée dans l’Eglise, l’éloge du défunt ou de la défunte, la quête pour les messes à dire en son souvenir, les bénédictions, chants et prières, les promesses du paradis offert et ouvert aux bienheureux, la sortie de la messe accompagnée des lugubres cloches, l’acheminement derrière le corbillard tiré par deux chevaux coiffés chacun d’un curieux et non moins lugubre plumet, les derniers adieux, les dernières aspersions, les derniers mots, la descente dans le caveau, le jet de fleurs et les condoléances éplorées puis le retour à la maison pour une collation adaptée aux circonstances….
Pour l’heure, je retournais très vite vers la vie qui n’avait jamais cessé de me quitter, ce dont j’étais moi aussi et à ma façon, « bienheureux » !…
La mort, lors, je l’a donnais sans ménagement et parfois sauvagement aux poissons que j’estourbissais contre la roche pour qu’ils ne s’agitent plus dans ma hotte ou qu’ils ne retournent pas dans l’eau en quelques sauts désespérés mais salutaires pour eux comme cela arrivait parfois, ce qui me dépitait fort…
Parvenu bien longtemps après cela à la retraite et bien qu’étant doté de tout le matériel nécessaire pour m’adonner de nouveau à la pêche, je n’ai pu, à ce jour, y retourner appréhendant la mise à mort des victimes de mon bon plaisir !… Rien que d’ébouillanter des crabes me devenait difficile, c’est dire les changements intervenus dans mon rapport au vivant !…
Savoir, comprendre lucidement, clairement que l’on peut ôter la vie, donner la mort, sans raison de survie, sans grand respect pour celle-ci lorsque nous sommes amenés à le faire pour nous nourrir et subsister devient un enjeu de la conscience aussitôt convoquée à peser l’acte et ses conséquences… On comprend ainsi l’importance des actes magico-religieux qui précédaient jadis toute forme de prédation et les offrandes et remerciements prodigués après l’acte lui-même…
Plus tard encore j'apprendrais que l’Amour est une Offrande qui peut être absolue quand deux être « meurent » à eux-mêmes, en eux-mêmes, en se redonnant mutuellement, conjointement, le sens ultime de la vie, qu‘ils en partagent le Souffle, la chaleur et la sueur, le frémissement et les palpitations, les chants et les cris… Evidés d’attente et de patience, de désir et de don, creusés comme un puits, en eux, viennent et se répandent les flots de plénitude qui remplissent et submergent leur être singulier et pluriel… Ils sont lors le Un et le Multiple et la Vie, leur vie, s’en trouvent régénérées, « revivifiées » en l’éternité d’une « petite mort » annonciatrice de la Grande !
…/////…
Non loin de notre maison, il y avait une prairie très humide et plantée de peupliers avec en bordure un fouillis de saules et d’aulnes pour « jouer à Tarzan »… Un ruisseau peu profond, mais généreusement garni de cressons traversait la dite prairie… Le printemps venu, je venais faire provision de ce que la grand-mère transformait en soupe succulente… Un lundi d’avril, ne voulant plus attendre pour ma cueillette printanière, je me rendais avant l’école sur les lieux pour faire ma récolte… Celle-ci faite, je reprenais le chemin de la Communauté sans penser au cartable resté sagement derrière moi parmi des jeunes pousses d‘orties… Je ne fus pas long pour découvrir ma bêtise, mais il était trop tard et la sonnerie de rentrée en classe retentissait déjà avec à la clef une punition sanctionnant l‘oubli…
Un malheur n’arrivant jamais seul, il plut abondamment toute la journée et ce sont des livres complètement lessivés que je retrouvais à la fin des cours… Une bonne partie des ouvrages furent mis à sécher au-dessus de la cuisinière après que mes oreilles rouges de confusions furent visitées à trois reprises par la casquette de grand père !…. « Sacré goules de ribotte, sacré rastaquouère, sacré….. »
Un autre jour, voulant taquiner la truite dans la Flora, mes coéquipiers et moi avons retourné tout un carré de terre dans le potager du père de mes amis ; ceci à la recherche acharnée de vers pour cette pêche… Grand mal nous en prit, car c’était un carré de carottes dont nous avons fait cessé très prématurément la croissance ; ce qui nous valut des réprimandes des plus sévères de la part de celui qui soignait amoureusement son jardin dévasté par notre fougueuse entreprise …
C’était de l’inconscience, car il n’y avait jamais volonté de nuire à quiconque, mais nous allions, sans réfléchir, au plus direct de nos désirs et satisfactions avec les moyens plus ou moins adaptés qui se présentaient à nous…
Cependant, nous n’avions pas toujours l’innocence de nos actes et ne reculions pas devant l’attrait de certains arbres fruitiers situés à proximité de nos désirs et de nos capacités à enjamber ou escalader !… (Au risque avéré parfois de laisser un peu d’étoffe et de peau sur le barbelé protecteur !)… Nous n’avions pas, il est vrai, un sens très aigu de la propriété et la profusion de fruits appétissants et provocateurs réduisait notre peu de scrupules à s’en saisir prestement… Nous prenions « une part » sur le « tertou » sans nous poser plus de questions que nous en posait le curé dans le confessionnal où transpirait parfois ce délit !…
Notre « innocence » tanguait entre quelques principes moraux inculqués par notre famille, l’école ou le catéchisme et les quelques franchissements et débordements que nous nous octroyons pour notre simple et bon plaisir sans que cela ne soit d’un grand préjudice pour autrui (selon notre propre sens de la moralité !)…
C’est ainsi à travers le déroulé de nos jeunes années que le jeune homme ; l’adulte que nous allions devenir, engrangeait peu à peu, expérience après expérience, les éléments constitutifs de sa « personnalité », son « socle » d’existence ; un socle qui s’élargirait, se modifierait quelque peu mais sans trop bousculer ses « fondements » et « assises » à moins d’événements majeurs provoquant l’effondrement et la dislocation de l’ensemble de cette humaine construction…
Un paysage façonne et modèle l’homme futur selon la nature des rapports et relations que ce dernier instaurera ou non avec lui pendant son enfance et selon des degrés et qualités d’empreinte et de façonnage correspondant à l’intensité et à la profondeur des liens instaurés et pratiqués…
Je ne saurais jamais assez remercier et exprimer ma gratitude envers mes parents et grands parents pour m’avoir offert ce magnifique cadeau dans mes jeunes années et pour ce paysage qui me pénétrait autant sinon davantage au fur et à mesure que j’arpentais les plis et les coutures, les pleins et les déliés, de ses revêtements changeants….
Sans le savoir ni le vouloir, j’engrangeais alors dans le grenier de ma mémoire, dans la malle des souvenirs, une richesse prodigieuse, des livres d’images, des sons, des formes, des couleurs, des silences, des musiques, des émotions, des sensations de joies ou de peurs, à partir desquels le poète que je deviendrai plus tard puisera pour faire monter l’argile des mots sur le tour de l’expression créative, artistique, esthétique, littéraire, géopoétique, philosophique et spirituelle…
…………………////………………